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Les nouvelles technologies au cœur des investissements des entreprises

  • Xavier de Laforcade

    Partner - Responsable de la Gestion Financière - Rothschild Martin Maurel

Les investissements des entreprises dans les nouvelles technologies ont connu une hausse continue depuis de nombreuses années. Plus que de simples dépenses, il s’agit en réalité d’une véritable transformation numérique, qui semble désormais inévitable, tant ses bénéfices sont multiples, des gains de productivités à la conquête de nouveaux marchés. Cette mutation s’accélère tout particulièrement avec l’arrivée récente de l’Intelligence Artificielle (IA) générative qui leur ouvre de nouvelles perspectives. Dans ce contexte, les entreprises de tous secteurs d’activité réajustent leurs priorités afin de bénéficier pleinement des opportunités offertes par les technologies numériques. Ainsi, leur transformation numérique n’en serait qu’à ses débuts…

 

Une transformation numérique inévitable…

Les motivations pour opérer une mutation technologique s’avèrent multiples pour les entreprises. L’amélioration de la productivité reste un facteur clé, à travers l’automatisation de certaines tâches répétitives, la rationalisation de processus, une communication plus fluide entre les équipes et l’accès à l’information mise à jour en temps réel. Au-delà de l’optimisation des coûts, les technologies permettent également aux entreprises de doper leur croissance. L’exploitation d’une multitude de données numériques, via la publicité en ligne et le e-commerce permet également une connaissance plus fine des besoins des clients afin de mieux répondre à leurs attentes. En conséquence, la transformation numérique des entreprises constitue avant tout un avantage compétitif majeur.

…accélérée par le cloud computing et l’IA générative

Pour mener à bien leur mutation, les entreprises les plus agiles ont suadapter leurs investissements au gré des innovations technologiques. L’une des plus marquantes sur la dernière décennie a été le déploiement du cloud computing ou « informatique en nuage ». Cette technologie permet aux entreprises d’accéder, à la demande, à des ressources informatiques performantes (infrastructures et applications) via une connexion internet. Afin d’exploiter une quantité de données numériques en croissance exponentielle, les entreprises privilégient de plus en plus cette approche, offrant une meilleure flexibilité (facturation à l’utilisation, accessibilité multi-supports) et des performances accrues (puissance de calcul des hyperscalers, mises à jour des applications, ajout de nouvelles données…).

Plus récente, et bien plus médiatisée, l’arrivée des premières itérations de l’IA générative (cf. l’agent conversationnel ChatGPT) a remis en question les investissements des entreprises, compte tenu des gains de productivité potentiellement massifs offerts par cette technologie émergente. Certains projets auraient ainsi été mis en suspens dans l’espoir d’obtenir de meilleurs résultats avec l’expérimentation d’outils d’IA générative, ralentissant d’autant la progression des dépenses des entreprises non-technologiques. D’après l’institut Gartner, les dépenses informatiques mondiales n’auraient progressé que de 3,3% en 20231, après une année 2022 pourtant stable. L’année 2024 aurait marqué une réaccélération (+7,2%2), même si essentiellement portée par les entreprises technologiques elles-mêmes (investissements massifs des hyperscalers). Pour les entreprises, finalement peu de projets d’IA auraient dépassé le stade expérimental, compte tenu des défis techniques (biais algorithmiques, qualité et sécurité des données) et du retour sur investissement encore insuffisant. A contrario, des éditeurs de logiciels innovants déploient progressivement des outils d’IA générative dans leur offre, rapidement intégrables (dans le cloud) et dont le retour sur investissement serait déjà visible. À titre illustratif, Gitlab Duo Pro, l’offre IA de Gitlab, un éditeur de logiciel de développement applicatif, générerait des gains de productivité d’environ 40% pour les développeurs. Son prix a d’ailleurs été plus que doublé début 2024, compte tenu de l’appétit des entreprises clientes...

Ainsi, tout porte à croire que les dépenses technologiques des entreprises poursuivront leur ascension, accélérée par le cloud computing et l’IA générative, le retour sur investissement étant de plus en plus élevé.

 

Tous les secteurs d’activité directement concernés

La transformation numérique concerne les entreprises de tout secteur d’activité. Pour les plus innovantes d’entre elles, c’est même devenu un élément central de leur stratégie.

Dans un secteur peu numérisé, l’entreprise John Deere, célèbre fabricant de machines agricoles depuis près de deux siècles, a dévoilé fin 2022 un plan stratégique long terme misant sur le numérique. À travers une connectivité accrue de ses machines et l’intégration d’outils logiciels propriétaires utilisant l’IA, le groupe se positionne sur la vente de solutions d’automatisation de l’agriculture. Les avantages seraient conséquents, tels que la réduction du coût du personnel, l’optimisation des rendements (produire plus avec moins), notamment en s’adaptant aux aléas climatiques, et la réduction de l’impact environnemental (moins d’engrais et d’herbicides). Le business model de Deere pourrait ainsi en partie évoluer vers une facturation à l’utilisation de ses solutions. D’ailleurs, le groupe souhaite générer 10% de ses revenus annuels en abonnements logiciels d’ici 2030, illustrant pleinement sa mutation technologique.

Dans un tout autre secteur, L’Oréal a également massivement investi dans certaines technologies, y consacrant désormais environ 1 milliard d’euros par an3, permettant notamment d’optimiser l’efficacité de ses ventes. Déjà leader sur la publicité numérique, le groupe intègre progressivement des outils d’IA, lui permettant d’ajouter des gains de productivité de 10 à 15%. L’Oréal utilise également l’IA via des outils de diagnostic et de recommandation de produits de beauté pour les consommateurs, tels que l’application mobile Skin Genius (peau), qui améliorerait très nettement le taux de conversion des ventes.

Le secteur de la santé se révèle quant à lui particulièrement concerné, notamment les fournisseurs d’équipements d’imagerie médicale, tels que Siemens Healthineers, dont environ 40% du chiffre d’affaires provient de la vente de logiciels et de services associés. Ainsi, pour un hôpital, la performance des outils numériques pourrait  fortement améliorer le retour sur investissement d’un scanner. L’intégration progressive par Siemens Healthineers d’outils d’IA générative pourrait jouer le rôle de catalyseur supplémentaire. Les gains de productivité pourraient être très élevés : diagnostic plus rapide, avec moins d’erreurs, rédaction de rapports, réponse à la pénurie de personnel, etc…

Un nombre croissant de sociétés industrielles poursuit sa mutation. Grâce à une stratégie d’acquisition offensive, Schneider Electric est devenu un fournisseur de solutions logicielles à part entière, qui représentent désormais 9% de son chiffre d’affaires4. Le groupe se positionne ainsi sur la numérisation du bâtiment, de l’industrie et des infrastructures, de leur conception (ex : design et processus de production) à leur gestion opérationnelle (ex : efficacité énergétique). Pour l’industrie des semi-conducteurs, l’investissement dans des outils logiciels est également une source de gains de productivité importants, afin de faciliter la conception de puces de plus en plus performantes. Ces solutions sont fournies par des spécialistes tels que Cadence Design Systems, dont l’intégration d’outils d’IA générative pourrait multiplier la productivité par… 10 !

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"Compte tenu de son aspect structurellement porteur, la transformation digitale des entreprises, qui n’en est qu’à ses débuts, pourrait rester un thème central pour les investisseurs"

Des perspectives prometteuses, de l’IA agentique à l’informatique quantique

Cette année, Gartner prévoit une accélération des dépenses technologiques mondiales, avec une progression attendue de l’ordre de +9,3%5. Selon l’institut, les dépenses en logiciels (+14%) et services informatiques (+9,4%) enregistreraient le plus fort rebond en 2025, grâce notamment à une monétisation progressive de l’IA générative, même si son déploiement à grande échelle pourrait prendre encore de nombreuses années.

Une des formes que pourrait prendre l’IA dans les prochaines années serait l’IA « agentique » : un outil logiciel interconnecté en capacité de prendre des décisions complexes de façon autonome. Tel un collaborateur, un agent IA pourrait ainsi prendre en charge certaines missions, notamment réaliser des tâches administratives ou techniques. Sa mise en place pourrait améliorer massivement la productivité des salariés d’une entreprise, qui pourraient ainsi n’avoir à réaliser que des tâches à forte valeur ajoutée. D’après Gartner, environ 15% des décisions quotidiennes d’une entreprise pourraient être prises en charge automatiquement par l’IA agentique d’ici 20286.

Au-delà de l’IA, d’autres technologies de rupture pourraient se développer à plus long terme et influencer les dépenses des entreprises, telles que l’informatique quantique. Il s’agit d’un domaine pluridisciplinaire exploitant les principes de la mécanique quantique pour effectuer des calculs de manière radicalement différente des ordinateurs classiques. En effet, de façon simplifiée, un ordinateur traditionnel utilise des bits, qui peuvent avoir une valeur de 0 ou 1, ce qui revient en quelque sorte à répondre à une série de questions uniquement par oui ou par non. À l’inverse, l’ordinateur quantique utilise des qubits, dont la valeur peut être 0, 1 ou les deux en même temps (principe de superposition d’états), telle une pièce de monnaie jetée en l’air étant à la fois pile ou face avant qu’elle ne tombe. De plus, les qubits peuvent être liés entre eux (principe d’intrication) : l’état de l’un (ex : 0 ou 1) pouvant déterminer l’état de l’autre. En conséquence, les ordinateurs quantiques pourraient résoudre des problèmes extrêmement complexes, nécessitant la prise en compte d’une multitude de paramètres et d’hypothèses, que ne peuvent effectuer les ordinateurs classiques. Pour les entreprises, cette technologie pourrait être révolutionnaire dans de nombreux secteurs d’activité, notamment dans l’industrie pharmaceutique (simulation de réactions chimiques complexes pour développer de nouveaux médicaments), la chimie (conception de nouveaux matériaux aux propriétés inédites) ou la logistique (optimisation des chaînes d’approvisionnement). Néanmoins, même si de nombreux géants de la technologie, tels qu’Alphabet ou IBM, disposent d’ordinateurs quantiques, cette technologie se situe aujourd’hui à un stade encore largement expérimental.

 

Un thème d’investissement central et actionnable 

Compte tenu de son aspect structurellement porteur, la transformation numérique des entreprises, qui demeure un processus perpétuellement en mouvement, pourrait rester un thème central pour les investisseurs. D’un point de vue boursier, ce thème d’investissement peut être joué essentiellement via deux catégories de sociétés.

La première concerne les sociétés technologiques qui jouent le rôle de facilitateurs de la transition numérique des entreprises, en particulier les éditeurs de logiciels cloud innovants. Les acteurs à privilégier seraient des leaders dans des domaines particuliers, que ce soit sur les infrastructures technologiques (ex : optimisation des données dans le cloud, surveillance des systèmes informatiques), les fonctions spécifiques des entreprises (ex : finances, RH, services informatiques), voire des secteurs particuliers (ex : construction, semi-conducteurs, laboratoires pharmaceutiques…). Grâce à leur expertise, ces acteurs pourraient être en mesure de monétiser l’IA générative, qui serait intégrée directement dans leur offre et permettrait ainsi d’accroître leur chiffre d’affaires.

La deuxième catégorie concerne les sociétés non-technologiques qui auraient pris de l’avance sur leurs concurrents en matière de transformation numérique, telles que celles mentionnées précédemment. Toutefois, leurs fondamentaux étant avant tout dépendants de leur cœur de métier, leur cours de Bourse demeure typiquement sensible à une multitude d’autres facteurs que le numérique. Ainsi, pour ces sociétés non-technologiques, la numérisation pourrait plutôt être vue comme un filtre à appliquer dans le choix de supports d’investissement.

Néanmoins, puisque la transformation numérique peut concerner toutes les entreprises, de la PME à la multinationale, tous secteurs confondus, cette distinction entre sociétés technologiques et non-technologiques pourrait même prochainement devenir caduque. En conséquence, l’élément central dans le choix des sociétés dans lesquelles investir (qu’elles soient cotées ou non) deviendrait plutôt leur capacité à tirer parti des mutations technologiques, afin de capter le maximum de valeur… et de réussir à la pérenniser dans le temps !

 

1 - Etude Gartner - janvier 2024
2 -Etude Gartner - octobre 2024
3 -Journée investisseurs 2023 de L’Oréal
4 - Etude Gartner “Top strategic technology trends 2025”
5 - Vente de logiciels et de prestations de services IT en 2023