Immobilier

L’immobilier confronté à de nouveaux enjeux

Entre la complexité grandissante des opérations, la hausse brutale des taux d’intérêts, l’impact de l’inflation, et la prise en compte des réglementations environnementales, l’immobilier se retrouve confronté à de nombreux défis. Tour d’horizon du marché français par Edouard Corbière, Associé-Gérant au sein de Rothschild & Co Immobilier et disposant de plus de 20 ans d'expérience dans ce secteur.

 

Structure et acteurs du marché

Le marché de l’investissement immobilier se structure autour de deux segments principaux. D’une part, l’immobilier résidentiel, et d’autre part l'immobilier commercial ou tertiaire (qui se compose des locaux destinés à un usage professionnel). Tandis que le premier est principalement animé par les transactions des particuliers et de quelques institutionnels, le dernier est dynamisé par une multitude d'acteurs tels que des fonds d’investissement, foncières cotées, assureurs, mutuelles et autres collecteurs d'épargne.
Il est aussi important de distinguer la production immobilière, qui regroupe le monde de la promotion (construction ou rénovation), du marché de l’investissement qui correspond principalement au monde des transactions des immeubles existants. Car, bien que ces deux marchés cohabitent dans un écosystème commun (l’un alimentant en partie l’autre), ils répondent à des logiques financières de natures différentes.

 

Les promoteurs immobiliers pâtissent d'un contexte très défavorable

Structurellement la France se caractérise par une sous-offre de logements et donc par un marché de la promotion historiquement porté par la demande. Une constatation qui s’amplifie d’autant plus aujourd’hui, les nouvelles contraintes environnementales réduisant les capacités de production de logements.
Pourtant, actuellement, plusieurs facteurs viennent impacter lourdement la profession. La hausse des coûts de construction et l’augmentation brutale des taux d’emprunts, qui viennent accroître les difficultés d’accès au crédit pour les promoteurs mais aussi pour les acquéreurs finaux, entraînant une chute des réservations et une baisse des prix de vente. Dans ce contexte, les marges et la trésorerie des promoteurs se retrouvent lourdement affectées. Parallèlement, les investisseurs institutionnels se sont détournés de ce marché affichant des rendements faibles pour se diriger vers d’autres actifs aux profils plus attrayants. 


L’investissement en immobilier commercial en berne

L’immobilier commercial (bureaux, commerces, locaux d'activité et entrepôts) affiche une baisse très significative des volumes investis sur le premier trimestre 2023 avec une chute de 35 % par rapport à la même période en 2022, à 3,3 milliards d'euros1.

Victime de l’augmentation rapide des taux d’intérêts, décidée par la BCE pour espérer juguler l’inflation, ce marché historiquement animé par des liquidités provenant d’investisseurs institutionnels et grand public, voit aujourd’hui des rendements très peu risqués (comptes à terme par exemple) concurrencer ceux offerts par des actifs immobiliers sécurisés. Au vu de ces éléments, sans surprise la tendance affichée est très nette : les collecteurs d’épargne en immobilier observent une baisse de leur collecte et des mouvements de décollecte sur certains véhicules.Dans ce contexte, les taux de rendement attendus par les investisseurs immobiliers (rapport entre le loyer et le prix de vente) augmentent, entraînant mathématiquement une baisse de la valeur des biens. Ce phénomène s’illustre notamment par les annonces récentes de baisse du prix des parts des SCPI.


Un modèle de financement ayant atteint ses limites ?

En plus du durcissement des conditions d’emprunt, la dégradation des valorisations impacte fortement le secteur. En effet, la plupart des immeubles sont acquis grâce à de la dette, qui bien souvent est hypothécaire, et dont l’un des principaux ratios de couverture regardé lors d’un investissement est la LTV (Loan To Value). Il correspond au rapport entre le montant de l’emprunt et la valeur de l’actif. La baisse de la valorisation des actifs immobiliers va donc venir mécaniquement augmenter la valeur de la LTV. Au-delà d’un certain seuil, le risque étant jugé trop élevé par le prêteur, ce dernier va pouvoir, contractuellement, réclamer le remboursement de tout ou partie de cette dette, plaçant alors l’emprunteur dans une situation très délicate.

 

Des changements d’usages venant modifier radicalement la valeur des biens

L’impact de la crise sanitaire, mais aussi des tendances sociétales nouvelles sont à l’origine de profondes mutations. Ainsi, sur le segment de l’immobilier de bureaux, qui représente historiquement la grande majorité des investissements dans le tertiaire, un mouvement très net se dégage aujourd’hui : la demande en centre-ville se maintient alors qu’en périphérie les bureaux sont au contraire délaissés et voient la vacance locative progresser.

Cette tendance s’explique en partie par l’augmentation significative du télétravail, qui a radicalement transformé les usages et donc la demande. C’est un phénomène également observé aux Etats-Unis. Après les « dead malls2 » (des centres commerciaux vides, conséquence de la progression forte du e-commerce) les changements d’usages ont vu naître les « dead offices3 », accompagnés d’une baisse drastique des investissements dans ces actifs.

Par ailleurs, les immeubles de bureaux localisés en périphérie ne peuvent que difficilement être transformés en logements. D’une part d’un point de vue technique, la conversion étant très complexe à réaliser, et d’autre part car la création de logements requiert par la suite la création d’équipements publics coûteux (jardins, crèches, écoles, stades…). Dans ce contexte, les valorisations et la liquidité de ces actifs ont considérablement baissé.

Malgré la conjoncture défavorable, certains actifs tirent tout de même leur épingle du jeu. C’est notamment le cas des actifs de bureau dits QCA4 (cœur de ville) qui bénéficient de ce mouvement de reflux vers les centres-villes occasionnant ainsi une hausse des loyers et donc un marché locatif plus dynamique. Cela vient à nouveau confirmer l’importance de l’emplacement, critère élémentaire en investissement immobilier. Néanmoins, sur le plan de l’investissement, le nombre de transaction a chuté et les valorisations des plus beaux actifs semblent - in fine - tout aussi impacté par la hausse des taux.

En ce qui concerne les autres segments, le retail5 qui est certainement l’un des segments ayant le plus souffert ces dernières années, fortement pénalisé par la révolution du e-commerce, résiste plutôt bien dans cet environnement, les niveaux de valorisation des dernières années ayant déjà atteint des niveaux très bas.

Le secteur de la logistique et des entrepôts demeure lui toujours très attractif, malgré un réajustement récent de la valorisation des actifs dans le contexte de hausse des taux.

L’hôtellerie, qui a beaucoup souffert pendant la crise sanitaire du Covid, se retrouve maintenant scindée en deux catégories d’activités. D’un côté les actifs « de loisir » ont le vent en poupe alors que ceux dits « business » subissent de plein fouet l’avènement du télétravail et la baisse des déplacements professionnels.

La numérisation de la société requiert des capacités de stockage de données toujours plus importantes provoquant une demande accrue d’investissement dans les data centers6. Le développement de ces actifs a explosé ces dernières années.

À la faveur de la hausse soutenue des dépenses de recherche et de développement, les actifs Life Science7 de recherche médicale demeurent très prisés. En plus de répondre aux préoccupations croissantes des populations sur les questions de santé, ces actifs apportent de la diversification aux investisseurs. À nouveau, la crise sanitaire a joué un rôle de catalyseur dans l’émergence de ces actifs.

Enfin, nous observons également un nouvel intérêt pour le coliving8. En facilitant l’accès au logement, grâce à un logement clé en main, tout en apportant de la flexibilité, des services intégrés et en s’affranchissant de nombreuses démarches fastidieuses, ces actifs correspondent aux aspirations des jeunes générations et répondent au besoin structurel de logements en France.

 

L’importance des critères ESG pour accélérer la transition

De multiples contraintes réglementaires environnementales très fortes impactent l’immobilier existant et la production de nouveaux actifs. C’est le cas notamment de la ZAN (zéro artificialisation nette) dont l’objectif est d’encourager la mobilisation des surfaces déjà artificialisées afin d’atteindre d'ici à 2050 une artificialisation nette de 0%. Pour les promoteurs, c’est donc un changement de modèle auquel ils doivent s’adapter, en recréant par-dessus l’existant ou en désartificialisant des sols en compensation. Cette nécessité de réinvestir le foncier existant lui redonne une valeur importante et vient remettre à plat le modèle économique établi jusqu’alors.

Sur la même thématique, le décret tertiaire, lui, vient imposer des baisses drastiques des consommations énergétiques aux bâtiments existants. L’atteinte des objectifs fixés, à savoir -40% de consommation énergétique en 2030, -50% en 2040 et -60% en 2050, a placé ces critères au cœur des nouvelles stratégies d’investissement. La valorisation des actifs immobiliers est ainsi directement impactée par ces contraintes, avec des ajustements de prix pour intégrer les coûts de remise à niveau des immeubles vendus.

Les critères ESG ont donc clairement un impact croissant dans le secteur de l’immobilier aujourd’hui. Si l’accent a été mis sur le E (environnement), la prise en compte des aspects S (social) (le G, se référant aux critères de gouvernance et donc à la structure de gestion et l’administration, étant assez peu impactant en immobilier) devient inéluctable. La question de l’accompagnement en profondeur de grandes causes sociales comme l’enfance, l’éducation, la formation, ou le handicap, est aujourd’hui un nouveau défi à relever dans le secteur. R&Co Immobilier a choisi d’ouvrir la voie en s’associant à la création d’espaces de coliving dont la moitié des occupants présentent un handicap mental.

 

(1) Source Immostat / (2) Centres commerciaux vacants /  (3) Bureaux vacants / (4) QCA : Quartier Central des Affaires / (5) Retail : commerce  / (6) Data Centers : Centres de données /  (7) Life Science : actifs de recherche médicale /  (8) Le coliving est un concept d'habitat partagé mêlant espaces privés (chambres individuelles ou studios) et communs (cuisine, jardin, salle de sport…)

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