Désinflation et croissance

Avant-propos

Les événements tragiques peuvent influencer les marchés internationaux, toutefois pas systématiquement. En revanche, le cycle économique aura, lui, très certainement une influence.

Si le monde devient plus dangereux, les valeurs refuges deviennent plus attrayantes. Si l’approvisionnement en pétrole devait être perturbé, nous serions confrontés à un nouveau choc de l’offre.

On ne sait pas encore très bien de quoi est synonyme la crise au Proche-Orient, si ce n’est de davantage de misère humaine. La seule certitude est que personne ne le sait, ni même l’historien ou le stratège militaire le plus érudit. À ce jour, la performance des obligations, de l’or, des devises, des options - et, du côté baissier, des actions – n’ont rien eu de remarquable. De fait, les obligations ont même baissé.

Pendant ce temps, le cycle économique suit son cours.

Les données macroéconomiques les plus récentes continuent d’attester de la poursuite de la désinflation et de la résilience de l’économie. Nous pensons toujours qu’un ralentissement économique plus marqué n’est ni nécessaire, ni probable.
Cette situation signifie que les taux d’intérêt pourraient ne plus beaucoup augmenter, mais aussi qu’ils ne risquent pas de baisser de sitôt. La courbe en « plateau » que nous avions anticipée pour les taux d’intérêt se reflète de plus en plus dans les courbes monétaires et obligataires. Elle indique également que la rentabilité des entreprises pourrait rester saine.

Nous considérons aussi qu’elle favorise les actions plus que les obligations, mais cet avis n’est plus aussi tranché qu’il ne l’a été pendant de nombreuses années, car les obligations sont désormais moins chères. Le conflit actuel pourrait modifier ce constat, même si nous pensons que ce n’est pas encore le cas.

Dans cette publication, nous partageons notre vue sur l’évolution de l’inflation et des taux d’intérêt. Nous revenons également sur le thème de notre dernière conférence : pourquoi la sagesse conventionnelle en matière de macroéconomie est-elle si biaisée, et que peuvent les investisseurs face à cela ?

Kevin Gardiner/Victor Balfour/Anthony Abrahamian
Global Investment Strategists

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La résilience continue

LES ÉCONOMIES NE SE SONT PAS EFFONDRÉES

À l’heure où nous écrivons ces lignes, il semble que les deux premières économies mondiales affichent un taux de croissance annualisé d’environ 5 % pour le précédent trimestre. Ce n’est pas inhabituel pour la Chine, bien que le potentiel de déception ait augmenté avec la crise de l’immobilier, la gestion en dent de scie du coronavirus et le lent retour de la croissance tendancielle vers des niveaux plus terre-à-terre.

En revanche, pour les États-Unis, censés être au bord de la récession depuis le printemps 2022, c’est inhabituel. L’économie américaine fait souvent mieux que les prévisions, mais rarement à ce point.

Le reste du monde, et plus particulièrement l’Europe, fait moins bonne figure. La zone euro, et l’Allemagne au sein de celle-ci, a probablement traversé une récession technique (deux trimestres consécutifs de baisse du PIB). Ce recul reste malgré tout faible par rapport aux prévisions plus pessimistes faites au cours des dix-huit derniers mois.

Le Royaume-Uni a évité cette récession technique (ses statisticiens ayant révisé favorablement le point de départ - ce qui n’est pas une surprise pour nos lecteurs), malgré des anticipations encore plus défavorables. Le Japon a probablement plus souffert, comme cela a souvent été le cas ces dernières années, mais il avait enregistré un rebond remarquable de 6 % en rythme annuel au trimestre précédent.

Après avoir échappé pendant un an et demi à un effondrement largement prédit, on pourrait penser que l’économie mondiale y gagnerait quelques louanges pour sa résistance, et peut-être un pronostic plus nuancé de la part d’un consensus rassuré. Il n’en est rien.

Market Perspective November 2023

Il est vrai qu’un trimestre particulièrement fort est souvent suivi d’un trimestre plus faible. L’économie américaine s’apprête peut-être à faire marche arrière au quatrième trimestre, comme l’économie japonaise l’a fait au troisième trimestre. Les événements au ProcheOrient constituent aussi une menace évidente pour les coûts de l’énergie, les dépenses d’investissement des entreprises et les placements de portefeuille.

À ce jour, les indicateurs prospectifs, tels que les indices des directeurs d’achat, et notamment l’indice ISM manufacturier des États-Unis, continuent d’indiquer un ralentissement de l’activité économique, mais pas un effondrement.

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En parallèle, les salaires réels augmentent à nouveau des deux côtés de l’Atlantique. Les hausses antérieures des factures d’énergie et d’autres coûts liés à la limitation de l’offre se sont estompées. Les salaires nominaux continuent de croître à un rythme plus rapide qu’habituellement, mais pas suffisamment pour faire resurgir le spectre d’une spirale salaires-prix du type de celle des années 1970. En effet, le marché du travail américain a été remarquablement passif, même si le taux de chômage est resté bas.

Et ce cycle, contrairement aux années 2000, n’a pas été caractérisé par des excès financiers du secteur privé. Il n’y a pas d’excès majeurs à dénouer. L’afflux de liquidités qui a alimenté la composante de l’inflation liée à la demande a été provoqué par la création monétaire, et non par la demande de crédit. D’ailleurs, la diminution de la masse monétaire américaine (M2), qui inquiète certains monétaristes, doit être considérée en gardant à l’esprit cette poussée antérieure (figure 1).

En ce qui concerne le risque géopolitique, nous avons souvent noté que même les conflits régionaux les plus inquiétants peuvent ne pas affecter le commerce mondial, les taux d’actualisation et les marchés boursiers - la figure 2 le rappelle. Il est facile d’imaginer le pire pour le scénario actuel, mais il existe aussi des scénarios moins destructeurs.

Il est vrai que les effets de la hausse des taux d’intérêt ne se sont pas encore faits pleinement sentir. Pour cela, nous n’avons pas encore complètement surmonté les défis cycliques, même en faisant abstraction de la géopolitique. Il est toutefois possible que l’histoire et les manuels scolaires surestiment l’impact potentiel de la politique monétaire.

Il s’agit pourtant du resserrement le plus spectaculaire depuis les années 1970, les taux directeurs américains ayant augmenté de cinq points de pourcentage en dix-huit mois. Mais le point de départ était très bas (taux nominaux à des niveaux historiquement bas, M2 nominale en hausse de près d’un tiers), et les taux réels ex post ne sont pas si élevés, même aujourd’hui. En parallèle, la transmission des taux directeurs vers les prêts hypothécaires et les emprunts des entreprises peut être lente et incomplète.

Nous ne serions pas surpris que l’économie mondiale parvienne à surmonter cet épisode, comme elle l’a fait si souvent dans d’autres contextes. Les économies n’ont pas besoin de faire marche arrière pour réduire l’inflation, elles ont juste besoin d’avoir une marge plus importante de capacités inutilisées. Un tel résultat - désinflation sans effondrement - ne serait pas mauvais pour les portefeuilles.

Ayons cependant une pensée pour nos malheureuses banques centrales. Si les décalages qui caractérisent la transmission de la politique monétaire sont tellement « longs et flexibles » qu’ils laissent l’économie mondiale apparemment indifférente après presque deux ans, cette politique est-elle vraiment adaptée à son objectif, même lorsqu’elle est mise en œuvre de manière sensée ?

Il est permis de penser que la recherche d’une gestion monétaire plus convaincante devrait être engagée dès maintenant. Mais la réponse à la question monétaire d’aujourd’hui n’est certainement pas une politique budgétaire plus active.

Nous ne serions pas surpris que l’économie mondiale parvienne à surmonter cet épisode, comme elle l’a fait si souvent dans d’autres contextes."

Le point sur l’inflation

Depuis le dernier Perspectives du marché, l’inflation globale a légèrement baissé dans la plupart des économies développées et est maintenant inférieure de plus de la moitié à son point haut (figure 3). L’inflation sous-jacente, qui exclut les composantes plus volatiles que sont l’énergie et les produits alimentaires, s’est finalement elle aussi orientée à la baisse.

L’évolution récente des quatre principales catégories de l’indice des prix à la consommation (IPC) – alimentation, énergie, biens et services – est globalement prometteuse.

IPC DE L’ALIMENTATION ET DE L’ÉNERGIE

En premier lieu, l’inflation de l’IPC lié à l’énergie et à l’alimentation s’est fortement réduite depuis le début de l’année, l’IPC lié à l’énergie se situant en territoire déflationniste (les prix ne se contentant pas de ralentir mais chutant) aux États-Unis comme en Europe.

Les prix de l’énergie ont toutefois rebondi ces derniers mois. Les prix du pétrole ont augmenté d’environ un quart par rapport à leur niveau le plus bas de l’année, tandis que les prix de gros du gaz naturel en Europe ont plus que doublé depuis le mois de juin. Les événements au ProcheOrient ont fait monter les prix, mais sans qu’ils atteignent, ni même approchent, de nouveaux sommets cycliques. Au contraire, les prix du pétrole sont actuellement inférieurs de 30 % à leur point le plus haut de l’an dernier et les prix du gaz naturel de 85 % (figure 4). Il est important de noter que les plafonds imposés par les gouvernements européens sur les prix de l’énergie, qui influencent les prix payés par de nombreux consommateurs, devraient baisser pendant l’hiver.

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De leur côté, les prix de gros des denrées alimentaires ont continué à baisser, l’indice mondial des prix alimentaires de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) étant désormais inférieur d’environ un quart à son point le plus élevé datant de mars 2022. Il existe généralement une corrélation étroite, bien que décalée, entre les variations des prix de gros des denrées alimentaires et les prix pratiqués dans les supermarchés, les coûts de transformation, de transport et autres ayant également une incidence sur ces derniers. L’inflation des prix alimentaires a déjà ralenti depuis un moment aux États-Unis et a également passé son point le plus élevé en Europe (figure 5). Cette tendance à la baisse devrait se poursuivre pendant le reste de l’année au vu de la trajectoire actuelle des prix de gros alimentaires.

IPC DES BIENS 

L’inflation de l’IPC lié aux biens s’est également ralentie des deux côtés de l’Atlantique, les conditions de la chaîne d’approvisionnement s’étant considérablement améliorées à la suite de l’assouplissement des restrictions COVID par la Chine à la fin de l’an dernier. Bien entendu, d’autres perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales sont possibles, en particulier dans un contexte géopolitique tendu. Mais il est peu probable que leur impact soit si important, tant que le conflit reste largement régional, que la Chine – cœur de la production manufacturière globale – reste ouverte aux affaires et que les tensions commerciales sino-américaines restent en sourdine.

IPC DES SERVICES 

L’inflation de l’IPC des services a été la composante la plus persistante de l’équation de l’inflation et est sans doute la plus importante, étant donné son poids plus élevé. Elle n’a atteint que timidement son maximum aux États-Unis et en Europe, sur fond de croissance élevée des salaires nominaux. Plus récemment, le taux de croissance des salaires réels (ajusté pour l’inflation) est devenu positif, la croissance des salaires dépassant désormais l’inflation globale. Nous doutons toutefois que ces gains poussent les coûts salariaux unitaires (rémunération ajustée en fonction de la productivité) en terrain plus inflationniste et nous continuons de penser que la probabilité d’une spirale salairesprix plus inquiétante, du type de celle des années 1970, reste faible.

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En ce qui concerne les services, il est intéressant de noter que l’inflation des prix du logement aux États-Unis, qui mesure les coûts de logement et de location, est celle qui contribue le plus au taux d’inflation global du pays. Hors logement, l’inflation américaine est déjà revenue à son objectif de 2 % (figure 6). Représentant plus d’un tiers du panier global de l’IPC, la composante « logement » reste élevée, car la baisse des prix de l’immobilier ne s’est pas encore répercutée sur l’IPC (il y a généralement un décalage d’un an). Sachant que la croissance des loyers et des prix de l’immobilier résidentiel a ralenti au cours des dix-huit derniers mois, nous devrions également voir l’inflation du logement diminuer plus franchement aux États-Unis dans les prochains mois.

CONCLUSION

L’inflation sous-jacente devrait continuer à décélérer pendant le reste de l’année et jusqu’en 2024, bien qu’un regain de pression sur l’inflation globale reste possible en raison du rebond partiel des prix de l’énergie. Nous maintenons notre perspective selon laquelle l’inflation sousjacente et l’inflation globale se stabiliseront à moyen terme aux Etats-Unis et en Europe dans une fourchette comprise entre 2 à 4 %, qui reste supérieure aux objectifs dans un contexte de croissance salariale élevée (mais pas galopante).

L’inflation sous-jacente devrait continuer à décélérer pendant le reste de l’année et jusqu’en 2024, bien qu’un regain de pression sur l’’inflation globale reste possible en raison du rebond partiel des prix de l’énergie.

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Effet de récence et anticipations de taux d’intérêt


Nous avons tous des biais cognitifs et comportementaux1 qui nous aident inconsciemment à rationaliser et à expliquer les choses. Nous pouvons ainsi nous appuyer surtout sur les informations qui confirment nos propres convictions, ou distiller une confluence d’événements complexes et sans rapport les uns avec les autres en un récit parfaitement plausible - mais erroné.

Ces biais influencent également nos perceptions économiques et, potentiellement, nos décisions d’investissement. En tant qu’analystes, nous devons nous en prémunir et rester objectifs.

Un biais particulièrement d’actualité concerne la manière dont nous percevons l’inflation et les taux d’intérêt. L’expérience récente peut avoir une influence considérable sur les attentes relatives à l’avenir. Ce « biais de récence » (ou effet de récence) nous amène à supposer que les événements futurs ressembleront à l’histoire récente. En 2021, par exemple, il a pu nous faire penser qu’un taux d’inflation exactement égal ou inférieur à l’objectif est normal. Nous aurions pu dire la même chose à propos de taux d’intérêt proches de zéro, voire négatifs.

Les responsables de la politique monétaire n’ont peut-être pas été à l’abri d’un tel biais. Dans nombre de leurs articles et discours, ils semblent avoir extrapolé un passé relativement récent pour le projeter dans l’avenir.

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Ce biais de récence apparaît clairement dans l’évolution des anticipations intégrées à la courbe des taux d’intérêt (figure 7). Le graphique en « porc-épic » montre comment ces anticipations ont été constamment réticentes à s’éloigner des niveaux contemporains, d’abord à la baisse, pour ensuite mettre plusieurs années à reconnaître un risque haussier plus important.

Aujourd’hui, les responsables monétaires et les marchés de capitaux semblent enfin être en phase avec ce que nous jugeons être la réalité (bien que nous puissions nous-mêmes nous tromper, bien entendu). Le plateau des taux d’intérêt - la perspective de taux « plus élevés pendant plus longtemps » - est désormais largement reconnu, les marchés obligataires commençant également à assimiler ce changement de régime (les rendements à plus long terme étant en hausse). Cela se produit alors que les taux et les rendements sont désormais proches de ce que nous avons toujours considéré être leur « juste valeur ».

L’inflation elle-même comporte une grande part de subjectivité. L’inflation réelle dépend, en partie, de ce nous pensons qu’elle va être, car ces anticipations peuvent influencer nos négociations salariales et notre comportement en matière d’acceptation des prix. La douloureuse décennie de « stagflation » pendant les années 1970 nous rappelle avec force ce qui se passe lorsque les attentes en matière d’inflation se réalisent d’elles-mêmes. La souffrance économique était alors forte et aveugle - et tout aussi douloureuse pour les investisseurs.

On trouve des échos troublants de cette période dans la situation actuelle : guerre, instabilité des prix du pétrole et conflits sociaux. Mais la réalité est qu’une période plus longue (trois décennies) d’inflation relativement bénigne - le plus souvent de l’ordre de 1 à 3 % - a permis de contenir les anticipations de « point mort » d’inflation reflétées par le marché des obligations indexées sur l’inflation. Même lorsque certains taux d’inflation atteignaient deux chiffres, les marchés obligataires locaux ne prévoyaient qu’un taux d’inflation moyen relativement modéré de 4 % pour les dix années suivantes. Aujourd’hui, les points morts d’inflation des économies développées sont retombés à 2 %.

Cette situation contraste avec les taux monétaires anticipés, pour lesquels les tendances plus récentes semblent avoir ancré les attentes, finalement à tort. Nous doutons que l’inflation revienne rapidement et complètement à son objectif de 2 % en Europe et aux États-Unis, mais lorsque la poussière cyclique sera retombée, nous pensons que ce sont les taux d’intérêt, et non l’inflation, qui se seront le plus éloignés de leur niveau passé. Pour nous, la grande surprise a été que les taux d’intérêt restent si bas pendant si longtemps.

Les banques centrales ont désormais agi avec vigueur pour contenir la poussée inflationniste (et, selon nous, valider en grande partie les anticipations de stabilité des points mort d’inflation du marché obligataire). Mais pendant au moins un certain temps, les responsables monétaires ont donné l’impression d’encourager délibérément une inflation plus élevée. Aussi objectifs qu’ils soient censés être, les banquiers centraux faisaient probablement preuve de leurs propres biais cognitifs - et pas seulement du biais de récence. Même les personnes les plus intelligentes ne sont pas à l’abri de la pensée de groupe et du comportement grégaire.

Aujourd’hui, les responsables monétaires et les marchés de capitaux semblent enfin être en phase avec ce que jugeons être la réalité (bien que nous puissions nous-mêmes nous tromper, bien entendu).

La pensée de groupe macroéconomique et comment y remédier


Le biais de récence et les problèmes d’ancrage sont deux sources spécifiques de biais dans les anticipations. Nous pensons qu’il existe une distorsion plus générale et omniprésente dans le débat macroéconomique que nous avons souvent évoquée en mentionnant le « mur d’inquiétudes ». Cette vision excessivement pessimiste de l’environnement général se manifeste plus particulièrement au Royaume-Uni, où le sentiment économique général donnait l’impression l’an dernier d’une hystérie à peine contenue.

LA CHAMBRE D’ÉCHO

Ce mur d’inquiétudes n’est pas imposé à une population sans défense par un seul agent manipulateur. Il est créé par la réverbération des voix de trois grands acteurs : les médias, la pensée de groupe de l’establishment, et nous-mêmes. Les problèmes sont amplifiés et déformés dans la chambre d’écho créée par ces trois acteurs jusqu’à prendre des proportions démesurées.

Les médias fabriquent des informations comme les fabricants fabriquent des gadgets. Ils sont impitoyablement efficaces pour vendre de l’espace publicitaire et, pour ce faire, ils s’appuient sur le sensationnalisme et l’absence de perspective. Si rien ne se passe aujourd’hui, les journaux de demain seront toujours pleins (et non responsables). Les médias sociaux ont ajouté un degré d’urgence supplémentaire.

La pensée de groupe (ou « GroupThink ») est un phénomène largement répandu. Elle désigne ici une sagesse établie, partagée par les banques centrales, les Trésors, les ONG internationales, les facultés d’économie et les économistes du monde financier. Cette sorte de pensée unique est majoritairement keynésienne, malthusienne et décliniste. Elle considère que les bilans ne comportent que des dettes. Elle confond démographie et dépendance, inégalités et pauvreté. Elle croit que la croissance de la productivité est terminée, mais aussi que l’intelligence artificielle (IA) détruira des emplois. Au Royaume-Uni, elle considère le Brexit comme un désastre plutôt que comme une erreur qu’il est possible de gérer. Ce type de pensée pourrait bien nous avoir envahi depuis déjà un certain temps.

"Sur la base de quel principe n’aurions-nous rien d’autre à attendre qu’une dégradation pour l’avenir alors que seule l’amélioration est derrière nous ?" – Macauley, 1830

Rien n’est plus facile à citer qu’une prédiction de malheur imminent, mais les résultats à long terme de cette sagesse conventionnelle ne sont pas brillants. Pendant que nous lisons que l’économie mondiale ne fait qu’enchaîner les crises, le niveau de vie de la population s’améliore et l’être humain moyen n’a jamais été aussi bien loti sur le plan matériel.

Collectivement, nous contribuons aussi au bruit ambiant. La condition humaine nous rend réceptifs aux sensations. Peut-être parce que la distribution des probabilités de résultat pour chacun de nous est déséquilibrée à gauche, nous avons tendance à nous inquiéter davantage des pertes qu’à nous réjouir des gains, et nous parlons de « l’utilité marginale décroissante » de la richesse.

En d’autres termes, nous avons les médias et l’intelligentsia que nous méritons.

UN AN À VIVRE DANGEREUSEMENT

La chambre d’écho a pris une ampleur particulière depuis le début de l’année 2022, notamment au Royaume-Uni (où l’on a tendance à battre sa coulpe de façon presque dickensienne à propos de l’économie). Il y avait de bonnes raisons de s’inquiéter au niveau mondial : invasion de l’Ukraine par la Russie, pénurie d’énergie et crise du coût de la vie, hausse des taux d’intérêt. Mais le battage est disproportionné par rapport aux répercussions macroéconomiques effectives, tout au moins jusqu’à présent.

Par exemple, la flambée des coûts de l’énergie a durement touché les petites entreprises et les ménages les plus pauvres, mais pendant que les gouvernements chiffraient le coût de leurs mesures de soutien et que les prédictions de récession devenaient monnaie courante, les prix du pétrole étaient déjà retombés à des niveaux plus ordinaires et ceux du gaz naturel s’effondraient.

Au Royaume-Uni, le « mini-budget » du gouvernement Truss, bizarre et politiquement à l’emporte-pièce, a provoqué une forte baisse des gilts (obligations souveraines du RoyaumeUni) et de la livre sterling. Nombreux sont ceux qui l’ont accusé de « ruiner l’économie ». Rapidement, le marché des gilts s’est stabilisé et la livre s’est redressée (ce qui n’a pas donné lieu à autant de publicité). S’il y avait vraiment eu un « crash » de l’économie (le terme est encore largement utilisé), les dégâts n’en sont pas très visibles dans la figure 8.

Market Perspective November 2023

COMMENT Y REMÉDIER ?

En tant que conseillers en investissement, nous pensons que notre travail consiste à filtrer ces échos et réverbérations pour identifier (dans le domaine étroit de l’économie et de la finance) ce à quoi il convient de prêter attention. Ce n’est pas facile, mais nous nous appuyons sur les lignes directrices suivantes :

  • L’étape la plus importante dans cette recherche d’une plus grande objectivité est peutêtre la prise de conscience de la chambre d’écho et du mur d’inquiétudes, ainsi que de la nécessité de garder avant tout l’esprit ouvert.
  • Le bon sens a un rôle à jouer. La pensée de groupe macroéconomique comporte toutes sortes d’incohérences et d’erreurs de logique, qui sont peut–être les plus visibles dans les discussions sur la dette et le financement de nos régimes de retraite.
  • Le sens de la perspective peut être utile. L’inflation et les mouvements sociaux récents peuvent nous sembler sans précédent, alors qu’il n’en est rien.
  • La patience est également importante. Les crises perçues ne sont pas toujours aussi urgentes qu’elles le paraissent, et la résolution n’est pas forcément plus utile que l’accommodation ou l’adaptation. Lorsque quelque chose fait les gros titres, cela se reflète aussi souvent dans le prix, et une action précipitée peut constituer une erreur.
  • Une dimension de processus peut aider à nous distancier de nos émotions. Bien qu’imparfaits (et propices à la pensée de groupe), les comités sont préférables aux décisions spontanées. En règle générale, les chiffres sont plus objectifs que les mots.

Notre « vérité » n’est certainement pas la seule qui soit. Mais au cours des dernières décennies, la chambre d’écho ne s’est pas non plus révélée un bon guide concernant les perspectives d’emploi et d’investissement.

L’étape la plus importante dans cette recherche d’une plus grande objectivité est peut-être la prise de conscience de la chambre d’écho et du mur d’inquiétudes, ainsi que de la nécessité de garder avant tout l’esprit ouvert.

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