Perspectives Du Marché - Faisons Le Point

Avant-propos

L’humeur des investisseurs s’est assombrie depuis le numéro de mai de Perspectives du marché. Objectivement, cependant, peu de choses ont changé.

Les risques posés par le conflit en Ukraine éclipsent toujours tous les autres. Son coût humain effroyable continue de s’alourdir, mais en termes de logistique impersonnelle et de territoire, il a été contenu jusqu’à présent. Son importance géopolitique à long terme reste incertaine.

La volatilité récente des marchés a été principalement motivée par des préoccupations plus familières et cycliques. Les attentes du marché ont suivi une ligne de conduite claire, mais c’est tout. Il n’y a pas eu de publication de données susceptibles de changer la donne. Une hausse des taux d’intérêt est envisagée depuis longtemps. Les risques ne sont pas aussi unilatéraux que l’affirment les experts.

L’économie américaine est plus proche de la récession technique que nous le pensions. Cependant, les indicateurs à haute fréquence semblent moins fragiles. Les récessions ne s’accompagnent pas nécessairement d’une crise financière. Et il y a deux ans à peine, nous avons bien sûr assisté à un ralentissement économique qui a laissé loin derrière lui les récessions «typiques».

Entre-temps, alors que le ciel s’est encore assombri, la valeur est devenue plus visible. Même à leurs sommets, nous pensions que les actions pouvaient offrir des rendements à long terme supérieurs à l’inflation, même si les rendements projetés étaient les plus faibles que nous ayons recueillis. Aujourd’hui, avec des valorisations plus faibles, la marge de manoeuvre pourrait augmenter.

Même le marché obligataire semble moins exorbitant. Les rendements des bons du Trésor américain ont récemment rattrapé l’inflation tendancielle que nous prévoyons et nous sommes un peu moins méfiants.

Les liquidités sont peut-être l’exception : les taux du marché monétaire n’ont pas encore beaucoup augmenté. Cependant, elles présentent peut-être le plus d’avantages sur le plan tactique : elles sont moins volatiles que les titres. Nous pensons également qu’elles peuvent constituer une bonne couverture du risque lié aux crypto-monnaies.

Nous nous concentrons ci-dessous sur l’écart entre le récit et les faits. Nous montrons également où l’inflation est la plus intense, nous offrons une perspective historique sur les conflits sociaux et des conjectures sur les élections de mi-mandat de l’automne aux Etats-Unis.

A l’heure où nous écrivons ces lignes, un nouveau gouvernement britannique se profile, mais nous doutons que cela affecte sensiblement les perspectives, même pour les portefeuilles basés au Royaume-Uni.

Kevin Gardiner/Victor Balfour/Anthony Abrahamian

Stratégistes d’investissement mondial

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Récit et réalité

DES RISQUES INCONNUS...

La situation d’investissement actuelle reste la plus difficile que nous ayons eue à analyser. Non pas à cause du risque d’inflation et de taux d’intérêt : nous avons déjà traversé ces obstacles à de nombreuses reprises, bien que pas récemment, et nous pensons savoir ce qui est en jeu. Toutefois, le conflit en Ukraine menace d’inverser une composante importante des progrès graduels qui ont implicitement soutenu l’appétit collectif des investisseurs pour le risque ces derniers temps. Des dizaines de milliers de nos voisins ont perdu la vie de manière inattendue et violente.

Depuis 1962 environ, le monde est devenu majoritairement plus sûr. Cette tendance a connu de terribles interruptions, mais elle a permis aux entreprises et aux investisseurs de considérer comme acquise une économie mondiale de plus en plus intégrée et ouverte. Les règles du jeu étaient imparfaites – elles ne tenaient pas compte, par exemple, des externalités du marché qui menacent l’environnement – mais elles étaient connues. Dorénavant, il est plus plausible d’envisager un grand dérèglement et des résultats mondiaux des plus sinistres.

Nous continuons néanmoins à déconseiller d’adopter une nouvelle « vision des choses » pour l’instant. Il est bien trop tôt pour parler du déclin de l’Occident, de la fin de la mondialisation, d’une pénurie mondiale d’énergie ou pire encore. La Chine semble garder ses distances avec son allié et n’a pas réitéré avec plus de vigueur ses revendications sur Taïwan. Au-delà de ces sombres scénarios, nous pouvons aussi imaginer des résultats plus constructifs.

Notre hypothèse centrale reste donc que ni un embrasement plus large ni la paix ne sont imminents, mais que l’attrition continue. Aussi terrible qu’elle soit, cette situation n’est pas forcément transformatrice pour l’économie mondiale.

... ET FAMILIERS

Le risque d’inflation...

La hausse des prix du pétrole et l’éventualité d’un rationnement énergétique localisé dans certaines régions d’Europe cet hiver ont accru et amplifié le risque d’inflation à court terme, mais une menace sous-jacente existait déjà avant le conflit. Si la paix survenait, l’inflation resterait un problème.

Le risque d’inflation que nous avions identifié dans notre rapport de janvier 2021 intitulé « Inflation : notes de révision » était fondé non pas sur les prix de l’énergie et des denrées alimentaires, mais sur une économie mondiale qui disposerait de moins de capacités inutilisées que d’habitude et dans laquelle la demande globale serait stimulée par des taux d’intérêt inutilement bas.

Les cartes thermiques ci-dessous (figures 2 et 3) montrent à quel point la reprise a été généralisée. Cela dit, il y a quelques exceptions évidentes, comme la Turquie, où les prix ont presque doublé au cours de l’année écoulée, et, au bout le plus bénin de l’échelle, la Chine.

... entraîne un risque de taux d’intérêt...

Les banques centrales ont tardivement pris conscience de leur erreur. La perspective de hausses de taux plus rapides et plus importantes que ce que les marchés avaient été précédemment encouragés à croire a été l’une des raisons de la récente vague de ventes des obligations et des actions. Cette remise en question n’aurait pas dû être une surprise majeure.

(Bien sûr, si les taux n’augmentaient pas maintenant, nous devrions prendre au sérieux la possibilité d’une perte de crédibilité monétaire et de ventes plus spectaculaires à plus long terme. On ne peut éluder le fait que les taux d’intérêt ont été dangereusement bas – la question pour les allocateurs d’actifs est de savoir comment se frayer au mieux un chemin dans la normalisation qui va probablement se faire jour).

Parmi les grandes banques centrales, ce sont les attentes du marché concernant les taux directeurs américains qui ont le plus gagné en importance. L’idée de laisser l’économie tourner à plein régime pendant un certain temps – l’approche arrogante de la politique monétaire dévoilée en 2020 – a été discrètement abandonnée. Au début de l’année, la hausse potentielle des taux en 2022 était estimée à 75 pb, avec un pic prévu d’un peu plus de 1,5 %. Au plus fort du récent mouvement de vente, ces chiffres étaient passés respectivement à près de 300 pb et 4 %. La dernière hausse de la Fed a été marquée, à 75 pb, et la plus importante depuis 1994, portant les taux à 1,5 - 1,75 %. Ce taux maximal (en 2023) vient de retomber à 3,4 %, les anticipations de récession s’étant enracinées (voir ci-dessous).

La BCE n’a peut-être pas encore commencé à relever ses taux, mais elle est sur le point de le faire, et l’évolution de son discours depuis la fin de 2021 (lorsqu’elle affirmait que les taux resteraient inchangés en 2022) est, à certains égards, plus frappante que celle de la Fed. Les taux de l’euro ne devraient pas atteindre un pic avant plusieurs années, quoiqu’à environ 2 % seulement (actuellement : -0,5 %). La Banque d’Angleterre a été la première des grandes banques à relever ses taux, en décembre, mais elle a depuis paru plus indécise que résolue. Le pic des taux britanniques est prévu à 3,0 % au début de 2023 (actuellement : 1,25 %).

La palme de la défense déterminée de la crédibilité monétaire devrait peut-être revenir à la Banque nationale suisse, qui a pris ses distances d’avec la BCE, avec une hausse de 50 pb en juin, et a signalé qu’elle tolérerait également un taux de change plus fort (un nouveau resserrement des conditions monétaires). La décision de la BNS est d’autant plus impressionnante que son taux d’inflation était alors inférieur à 3 % – l’un des plus bas – et que la Suisse a tendance à être relativement à l’abri des poussées extérieures dues aux matières premières et des tensions intérieures dues à la spirale salaires-prix. Cela dit, les taux directeurs ne sont toujours que de -0,25 %.

La perspective d’une forte hausse des taux directeurs a directement touché les obligations, principalement en poussant les rendements réels à la hausse – les points morts d’inflation intégrés dans les obligations indexées sur l’inflation à long terme (10 ans) ont en fait baissé ces derniers mois. La hausse des taux d’intérêt et des rendements obligataires réduit à son tour les valorisations des actions ; elle augmente également les attentes d’un ralentissement économique et affecte aussi les bénéfices attendus des entreprises, ce qui réduit encore davantage le cours des actions. Ce ralentissement économique attendu contribue à expliquer pourquoi les anticipations d’inflation implicites à long terme ont chuté et, plus récemment, pourquoi les taux directeurs maximaux potentiels ont eux-mêmes commencé à reculer.

... et de récession

Un resserrement monétaire plus marqué à court terme, un risque de récession plus important, une nouvelle réduction plus précoce des taux d’intérêt – les marchés ont complètement modifié leur vision du cycle économique futur en l’espace de quelques semaines. En combinaison avec le secteur de l’information, cela a produit un récit convaincant en accéléré dans lequel les économistes rivalisaient pour augmenter la probabilité d’une récession, et dans lequel un ralentissement significatif et imminent était inévitable.

Cependant, jusqu’à présent, c’est tout ce que cela est resté : un récit. Il semble convaincant, mais les données indiquent actuellement un ralentissement, pas encore un effondrement. Les économistes, et les marchés, peuvent facilement se tromper. Comme l’a dit Paul Samuelson, « Le marché boursier a prédit neuf des cinq dernières récessions », et nous pensons que le marché obligataire – où une partie de la courbe de rendement américaine s’est inversée – peut lui aussi se tromper. Les discours confiants sur « X % de probabilité de récession » sont des discours grandiloquents, pas des analyses.

Il semble en effet que l’économie américaine n’ait pas connu de croissance importante, voire aucune, au deuxième trimestre. S’il s’avère qu’elle s’est contractée, il s’agirait d’une deuxième baisse trimestrielle consécutive du PIB, ce qui est une définition largement répandue de la récession. Toutefois, l’arithmétique du PIB n’est pas toujours un bon indicateur de la gravité d’une récession – les mouvements trimestriels peuvent être affectés par des composantes volatiles telles que la balance extérieure nette et les stocks – et les données à plus haute fréquence, telles que l’enquête ISM sur l’industrie manufacturière, se situent toujours à des niveaux bien supérieurs à ceux observés pendant les récessions « officielles » (définies par le NBER, Bureau national de la recherche économique) (figure 1). Les demandes hebdomadaires d’allocations de chômage sont également encore proches des plus bas niveaux enregistrés depuis plusieurs décennies et les
offres d’emploi proches des plus hauts niveaux, tous deux loin des niveaux de récession. Et encore une fois, même les récessions « officielles » varient énormément en termes de gravité et de durée.

QUELLE EST LA GRAVITE DE LA RECESSION?

Nous nous attachons moins à la manière dont nous qualifions la récession qu’à l’importance qu’elle aura. Nous pensons qu’il y a de bonnes raisons de penser qu’elle ne sera pas dramatique – notamment le fait, largement négligé, que les taux d’intérêt prospectifs qui façonnent l’histoire de la récession constituent un indicateur retardé et non avancé. Les taux d’intérêt réels à long terme projetés ont augmenté l’année dernière, mais les taux réels à court terme actuels ont baissé et sont beaucoup plus bas que ce qui semblait probable, parce que l’inflation a dépassé les prévisions.

Bien sûr, les salaires n’ont pas suivi le rythme de cette hausse des prix. Cependant, ils ont tout de même progressé, alors que de nombreux taux hypothécaires sont fixes. Et certains endettements s’avéreront nettement inférieurs à ce que l’on craignait – par exemple, ceux de nombreux gouvernements occidentaux, qui disposeront ainsi d’une plus grande marge de manoeuvre budgétaire en cas de besoin.

Entre-temps, comme nous l’avons noté en mai, les prix du pétrole ne sont pas si élevés en termes réels et représentent davantage un problème de répartition (douloureux, certes) qu’un problème macroéconomique. Il y a encore beaucoup de dépenses reportées et de réapprovisionnement à compenser après la pandémie. Plus prosaïquement, au niveau mondial, la Chine suit une trajectoire cyclique différente en raison de son traitement rigide de la covid, et accélère actuellement alors que l’Occident ralentit.

La rentabilité des entreprises pourrait même être moins menacée que d’habitude, grâce aux revenus du pétrole : les grands indices boursiers contiennent de nombreux producteurs de pétrole, mais peu d’entreprises pour lesquelles le pétrole représente un coût important. La plupart des entreprises ne ressentent la douleur de la hausse des prix du pétrole que lorsque les consommateurs réduisent leurs autres dépenses, ce qui n’est peut-être pas encore le cas.

Les consommateurs sont certainement pessimistes, mais les indices de « confiance » des consommateurs sont (par définition) extrêmement subjectifs. Au Royaume-Uni, un indice de confiance largement suivi est au plus bas niveau jamais enregistré – plus bas même que pendant la pandémie, la crise financière mondiale et les années 70. Vraiment ? Personne n’aime dépenser plus pour l’essence ou la nourriture, mais la plupart des gens doivent le faire – et beaucoup sont capables de le faire sans dépenser moins ailleurs.

Le plus important est peut-être que nous n’avons pas encore modifié notre estimation de la nature de la menace inflationniste (et de l’ampleur de la réponse justifiée en matière de taux d’intérêt). Nous considérons qu’un noyau dur subsiste sous la surface changeante : nous doutons que l’inflation tombe à nouveau durablement en dessous de l’objectif dans un avenir proche et nous la voyons se maintenir dans une fourchette de 2 à 4 %, ce qui maintiendra les banques centrales et les marchés financiers sur leurs gardes. Toutefois, cette fourchette est naturellement bien inférieure aux niveaux actuels et pas assez élevée pour faire la différence significative dans le climat des affaires. Nous continuons de penser qu’il est prématuré de parler de stagflation, c’est-à-dire d’une inflation persistante plus élevée conjointement à une stagnation économique constante.

Lorsque le taux d’inflation global aux Etats-Unis a de nouveau augmenté pour atteindre 8,6 % en mai, les experts ont rapidement conclu que les niveaux d’inflation actuels ne sont pas « transitoires » mais permanents. Il est bien trop tôt pour le dire : voir les articles ci-dessous. Certains goulets d’étranglement se desserrent et certains prix des matières premières s’adoucissent ; les taux d’activité peuvent augmenter ; et l’économie mondiale s’est beaucoup améliorée depuis les années 1970. Une spirale salaires-prix nous semble peu probable. L’offre pourrait être plus élastique qu’on ne le craint.

CONCLUSION SUR LES INVESTISSEMENTS

Lorsque l’inflation et les taux d’intérêt sont en jeu, il y a peu d’échappatoires pour les investisseurs. Les actions et les obligations sont toutes deux en forte baisse – et si les actions sont souvent volatiles, les obligations ne le sont pas. Ces six mois ont donc été un séisme pour les investisseurs en obligations.

Nous pouvons imaginer que le récit du marché changera encore une fois. Nous ne serions pas surpris d’assister à une nouvelle hausse, plus modeste, des taux d’intérêt, motivée non pas tant par une nouvelle flambée des taux d’inflation que par une économie mondiale moins fragile que prévu, qui n’a pas à suivre le scénario écrit pour elle. Il y a peu d’impératifs en économie.

Si l’on ajoute à cela le risque persistant de perturbations plus larges dues au conflit, nous pensons que cette possibilité pourrait limiter l’appétit collectif pour le risque pour le moment : d’un point de vue tactique, les liquidités présentent encore beaucoup d’atouts. Cependant, les valorisations évoluent.

La valeur commence à revenir dans les obligations, où (sur le segment américain) nous sommes moins méfiants que depuis quelques années. Cela dit, les rendements ne sont pas encore assez élevés pour offrir des résultats réels positifs convaincants.

Les actions ont déjà chuté d’un montant équivalent à la perte de plusieurs années de bénéfices, ce qui correspond à un ralentissement majeur. Si nous avions raison, et si le cours des actions n’était pas exorbitant au départ, elles offriraient toujours les meilleures chances de battre l’inflation tenace – mais pas alarmante – que nous prévoyons. Cela ne semble toutefois pas être une urgence et notre conviction tactique reste plus faible que depuis quelques années. Nous avons conseillé plus de prudence en janvier (en raison des taux) et en février (à cause du conflit) et nous ne faisons pas marche arrière – en dépit de notre scepticisme de longue date à l’égard des tentatives d’anticipation du marché...

Une dernière remarque sur les devises. A l’exception (par exemple) du yen et du franc, les principaux taux de change ne sont pas sortis de manière décisive des fourchettes de négociation récentes, bien que le dollar américain ait gagné un peu de terrain.

La situation pourrait néanmoins changer si les taux d’intérêt – et la situation économique – divergent plus nettement, mais, pour l’instant, nous restons sceptiques sur le sujet. De toute façon, il n’est pas possible d’ajouter systématiquement de la valeur en prévoyant l’évolution des devises et, dernièrement, les grands mouvements ayant influencé le portefeuille ont été dus aux actifs et non aux devises.

Inflation : cartes thermiques et perspectives à court terme

Les taux d’inflation globale ont atteint de nouveaux sommets sur plusieurs décennies aux Etats-Unis et en Europe, et sont élevés sur un large éventail de marchés développés (figure 2).

Aux Etats-Unis, l’inflation des prix à la consommation a atteint 8,6 %, son plus haut niveau depuis 40 ans. Au Royaume-Uni, elle a atteint 9,1 % et devrait dépasser 11 % vers la fin de l’année, lorsque le plafonnement des prix de l’énergie sera à nouveau levé. Dans la zone euro, l’inflation globale de 8,6 % constitue un record. Même en Suisse, où les prix à la consommation étaient globalement stables avant la pandémie, l’inflation a atteint 3,4 % en juin. Notre agrégat d’inflation des marchés développés a progressé à 7,4 % en mai.

Les pays émergents et les pays des marchés frontières ont également souffert de l’accélération des prix à la consommation (figure 3). Les épisodes inflationnistes ne sont pas un phénomène si récent pour les pays en développement. Pourtant, les derniers relevés de l’IPC pour presque tous les pays en développement sont supérieurs à leur moyenne de 2014 à 2019. A l’exclusion de la Chine, notre mesure du taux d’inflation des marchés émergents a dépassé 14 % en mai.

Au niveau régional, de larges pressions inflationnistes se sont manifestées pour la première fois dans les principales économies d’Amérique latine à la mi-2021. Puis, vers la fin de l’année dernière, ces tensions se sont étendues aux nations émergentes de la région EMEA, l’invasion de l’Ukraine par la Russie fin février ayant accentué la pression.

L’Asie émergente a connu jusqu’à présent une poussée plus modeste, peut-être en raison de sa position différente dans le cycle économique (l’économie chinoise a été partiellement bloquée ces derniers mois). Une meilleure gouvernance (ou des contrôles gouvernementaux plus stricts) aura également été un moteur, tout comme sa plus grande dépendance au riz qu’au blé.

Néanmoins, malgré les pans entiers de rouge sur nos cartes thermiques, un certain refroidissement pourrait devenir visible prochainement. Sous la surface, certaines pressions semblent s’estomper, et pas seulement en raison de la faiblesse de la demande : les goulets d’étranglement de l’offre pourraient s’atténuer.

Les tensions les plus intenses au niveau de la chaîne d’approvisionnement – les plus importantes pour les prix des marchandises, source de la dynamique initiale de l’inflation – sont peut-être derrière nous. Les indices des taux de fret ont basculé tant pour le transport maritime par conteneurs que pour le transport aérien, qui représentent environ 80 % des volumes du commerce mondial (figure 4). Les frais de fret sont toujours supérieurs aux niveaux connus avant la pandémie, mais l’équilibre entre l’offre et la demande pourrait s’être amélioré dernièrement. De même, l’indice de pression de la chaîne d’approvisionnement mondiale de
la Banque fédérale de réserve de New York a atteint un pic à la fin de l’année dernière. Cette amélioration pourrait commencer à se manifester dans les indices des prix à la consommation sous le niveau global : les taux d’inflation de base aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et dans la zone euro – c’est-à-dire hors alimentation et énergie – ont légèrement baissé.

Et, comme indiqué plus haut, les prix des matières premières pourraient avoir atteint leur maximum. Le pétrole a atteint un pic début mars, de même que le blé négocié à Chicago à la mi-mai (ce dernier est inférieur à son niveau d’avant l’invasion). Les prix de certains métaux industriels ont été particulièrement faibles : le prix du cuivre, par exemple, est tombé à son plus bas niveau depuis début 2021.

Même si les prix de l’énergie restent à ces niveaux élevés, leurs augmentations antérieures finiront par disparaître du calcul de l’inflation annuelle – les effets de base finiront par agir (figure 5). La contribution de l’énergie au taux d’inflation annuel américain pourrait être inférieure à un point de pourcentage au début de 2023, contre 2 à 3 points récemment.

Conflits sociaux : quelle probabilité d’une spirale salaires-prix ?

L’action syndicale semble se répandre. Les signes au Royaume-Uni sont difficiles à ignorer : les grèves des métros et des trains devraient être suivies de votes des travailleurs du secteur public, y compris des infirmières et des enseignants, et peut-être même des médecins. Il y a même eu de nets échos de 1978/9 lorsque certains déchets n’ont pas été ramassés.

Dans le secteur privé américain, les travailleurs d’Apple viennent de former leur premier syndicat, après des actions collectives similaires chez Amazon et Starbucks. Le secteur de la technologie et de la logistique s’est targué de ses modèles inclusifs, mais cela ne l’a pas empêché, dans certains cas, d’utiliser sa position dominante sur le marché pour maintenir les salaires à un bas niveau – jusqu’à présent. Les taux de participation au marché du travail n’ont pas rebondi après leur déclin dû à la pandémie et le pouvoir de négociation des travailleurs est plus élevé.

Cela marque-t-il enfin le tournant souvent prédit dans l’équilibre des pouvoirs entre travailleurs et employeurs ?

We are unconvinced, but watching carefully. Labour markets are tight, and real pay has been squeezed by energy costs, but the industrial relations landscape is qualitatively different to that of the 1970s, and may remain so.

Nous ne sommes pas convaincus, mais nous observons avec attention. Les marchés du travail sont tendus et les salaires réels ont été comprimés par les coûts de l’énergie, mais l’atmosphère des relations employeurs-travailleurs est qualitativement différente de celle des années 1970 et pourrait le rester.

Le taux de syndicalisation est beaucoup plus faible qu’il ne l’était. Il s’agit bien sûr d’un sujet sensible. Au Royaume-Uni, l’émasculation légale du pouvoir syndical au cours des années 1980 et l’épreuve de force mise en scène face aux mineurs ont été des politiques délibérées menées par les gouvernements Thatcher – mais elle n’aurait pas pu réussir s’il n’y avait pas eu une tendance dans l’opinion publique à penser que l’on était auparavant allé trop loin en faveur des travailleurs. La mondialisation et le déclin relatif du secteur manufacturier – et, plus récemment, la montée du travail informel et à distance – ont également joué un rôle.

L’ampleur de l’agitation syndicale – et patronale – des années 1970 donne un certain recul. Aucours de cette décennie difficile, en moyenne, 12 millions de jours ont été perdus chaque année au Royaume-Uni pour cause de grève (et la main-d’oeuvre était bien sûr beaucoup plus réduite) (figure 7). Les conflits d’aujourd’hui ont pour l’instant peu de chances de gravir ne serait-ce que les contreforts des graphiques historiques, et encore moins les sommets. Le plus grand conflit social jamais connu au Royaume-Uni est bien sûr la grève générale de 1926, qui éclipse même les pics des années 1970. Le nombre de jours de travail perdus en 1926 est pratiquement le même que celui du dernier demi-siècle – et une fois de plus, la main-d’oeuvre était alors
beaucoup moins nombreuse.

Le chômage étant revenu à son niveau le plus bas depuis un demi-siècle aux Etats-Unis et au Royaume-Uni – des niveaux observés brièvement à la fin du dernier cycle en 2019 – et le coût de la vie augmentant, la pression n’est pas près de s’atténuer. Toutefois, jusqu’à présent, la réponse des salaires a été modérée – et si les coûts de l’alimentation et de l’énergie sont sur lepoint de basculer, les pressions sur le coût de la vie ralentiront.

Aux Etats-Unis, les salaires du secteur privé augmentent à un rythme annuel de 6,5 % – le plus rapide depuis 1981 – mais toujours en dessous du taux d’inflation actuel. Les chiffres équivalents au Royaume-Uni et en Europe sont respectivement de 4,2 % et 3,1 % (le chiffre de la zone euro est quelque peu décalé).
Les salaires vont certainement continuer à augmenter. Cependant, même dans ce cas, nous devons nous rappeler que les prévisions de la spirale salaires-prix tant redoutée seront davantage atténuées par la croissance continue de la productivité, qui crée un écart de 1 à 2 % entre la croissance des salaires et celle des coûts unitaires. Pour que les salaires maintiennent l’inflation à son niveau actuel de 8-9 %, il faut qu’ils progressent d’environ 10 %.

Jusqu’à présent, nous n’assistons donc qu’à une lente résurgence de la « courbe de Phillips » qui lie un faible taux de chômage à une forte inflation des salaires. C’est encore suffisant pour nous laisser penser qu’un retour à des taux d’inflation des prix à la consommation inférieurs à 2 % est peu probable dans un avenir proche, et pour inciter les banques centrales à poursuivreleur resserrement. Cependant, cette perspective historique, et le fait qu’il y a tant d’autres facteurs en mouvement dans l’économie, laissent entendre que la spirale salaires-prix a peu de chances de se reproduire.

Elections de mi-mandat aux Etats-Unis : le canard boiteux ?

Le cycle électoral américain semble s’écouler à toute vitesse – début novembre, les Américains se rendront une fois de plus dans les bureaux de vote pour se prononcer sur la composition du Congrès. S’il faut se fier à l’opinion répandue selon laquelle les élections de mi-mandat américaines sont un baromètre de la popularité du président, les démocrates des deux chambres du Congrès devront faire face à un résultat très compliqué (figure 8).

La législature bicamérale est confrontée à deux cycles différents : chaque membre de la Chambre des représentants, plus importante, doit être réélu tous les deux ans, tandis que seul un tiers de la Chambre haute, plus petite, le Sénat, doit être réélu. Quoi qu’il en soit, l’arithmétique est sur le fil du rasoir : les démocrates disposent de 220 sièges sur les 435 que compte la Chambre, soit à peine plus que les 218 sièges nécessaires pour obtenir la majorité. Le Sénat est encore plus serré, partagé à égalité entre les deux partis

En réalité, Biden a été une sorte de canard boiteux pendant la majeure partie de l’année dernière, la politique interne du parti faisant obstacle à certains de ses principaux engagements électoraux. Son ambitieux projet de loi « Build Back Better », qui intègre de nombreuses politiques environnementales, continue d’être édulcoré et a peu de chances d’être adopté. En pratique, cela signifie que la perte du Congrès – en tout ou en partie – ne changera pas grandchose à son élan législatif, celui-ci étant de toute façon très faible pour commencer.

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