Transition

Investir pour la transition énergétique : enjeux et perspectives

  • Partner - Responsable de la Gestion Financière - Rothschild Martin Maurel

Immenses feux de forêts en Amérique du Nord, vagues de chaleur historiques en Europe, inondations, tempêtes, sécheresses précoces : les manifestations extrêmes du « dérèglement » climatique se multiplient et voient leurs conséquences humaines et économiques s’intensifier. Au cœur de la problématique, la hausse des températures liée à l’accumulation exponentielle, dans l’atmosphère, de gaz à effet de serre émis par l’activité humaine. La décennie 2011-2020 est déjà la plus chaude enregistrée depuis 125 000 ans, et la hausse des températures depuis l’ère préindustrielle dépasse les 1,1 degrés d’après le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC)

 

En cause, l’accélération de la croissance démographique mondiale au vingtième siècle, mais surtout un modèle de développement économique qui s’est essentiellement appuyé sur des sources d’énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) à des fins de production d’électricité, de chauffage, de transport ou d’activités industrielles (acier, ciment…). Selon l’Agence Internationale de l’Energie, les énergies fossiles représentaient 64% du mix énergétique mondial en 2022 contre 28% pour les énergies renouvelables, et 7% pour le nucléaire. Une transition vers un nouveau modèle de développement, s’appuyant sur des ressources énergétiques durables, sur une meilleure efficacité de leur utilisation et sur une adaptation aux nouvelles conditions de vie apparaît inévitable afin d’atteindre l’objectif de réduction de 50% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et ainsi limiter le réchauffement planétaire à 1,5 degrés sur la période.

Le dernier rapport du GIEC publié en 2023 (« Climate Change 2023 – Synthesis Report ») souligne d’ailleurs que l’envergure et la cadence des mesures prises jusqu’à présent ne sont pas suffisantes, et estime que la trajectoire actuelle des émissions d’ici 2030 pointe vers un réchauffement planétaire qu’il serait difficile de maintenir sous les 2 degrés et qui pourrait atteindre +3 degrés dans les scenarii les plus pessimistes.

 

Un nouveau champ d’opportunités d’investissement  

Face à ce défi vital pour l’humanité, la réponse se doit d'être universelle, et nécessite l’engagement collectif des Etats, des entreprises et des citoyens. Les champs d’actions sont multiples, allant de l’initiative individuelle sur le terrain aux accords internationaux, en passant par la mise en place de réglementations nationales. Avec une certitude : les besoins d’investissements et de financement pour accompagner la transition énergétique s’annoncent colossaux. Dans son rapport de janvier 2022 « The Net-zero transition », McKinsey estime les investissements nécessaires entre 2021 et 2050 pour atteindre l’objectif « Net-zero » à environ 275 000 milliards de dollars, soit en moyenne 9 200 milliards de dollars par an, soit une augmentation annuelle d'environ 3500 milliards de dollars par rapport à aujourd'hui, équivalent à la moitié des profits des entreprises mondiales, à un quart des recettes fiscales totales et à 7 % des dépenses des ménages.

Pour les entreprises, cette période de transformation sera indéniablement porteuse d’opportunités mais aussi de défis. Les sociétés proposant des solutions innovantes (produits et services) en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre offrent des perspectives de croissance attractives sur le long terme, par exemple dans la production d’électricité “verte” (solaire, éolien, hydraulique), la gestion de sa distribution (réseaux intelligents) et de son stockage (batteries, hydrogène), mais encore l’amélioration de l’efficacité énergétique (bâtiments, industrie). En conséquence et selon l'Agence Internationale de l'Energie (AIE), la production mondiale d'électricité devrait ainsi augmenter de 28 % d'ici 2030, et de 90 % d'ici 2050. La part des énergies renouvelables dans la production mondiale d'électricité devrait passer de 27 % en 2022 à 45 % en 2030, et à 80 % en 2050, pour un coût 35% plus faible. De ce fait, la part des énergies fossiles devrait quant à elle passer de 73 % à 55 % en 2030, et à 20 % en 2050.

En soutien à cette transformation, des plans d’investissements d’envergure définis par les gouvernements sont décrétés, tel l’“lnflation Reduction Act” (IRA) aux Etats-Unis qui prévoit de consacrer dans les 10 prochaines années 110 milliards de dollars aux énergies renouvelables via des subventions, crédits d’impôts et investissements directs dans des infrastructures, et 100 milliards supplémentaires en soutien des initiatives de recherche et développement. Avec pour objectif de réduire les émissions de carbone de 40% d’ici 2030.

Parallèlement, et avec un objectif quasi « opposé », il convient d’identifier les sociétés dont les perspectives ou la valeur des actifs seront a priori remises en question par cette transition en l’absence d’adaptation (automobile, exploration pétrolière…) et qui, de ce fait, perdent de leur pertinence en matière de potentiel de performance.

 

 Une approche sélective, et balancée par les risques associés à l'investissement  

Aussi prometteuses que soient les perspectives offertes par la transition énergétique, cette source d’opportunités impose une vigilance accrue dans l’analyse des modèles d'affaires des sociétés identifiées.

La mésaventure boursière récente du titre Orsted, premier développeur de parcs éoliens offshore, qui a perdu 20% de sa valeur fin août 2023 sur un risque de dépréciation de ses actifs (remise en cause de crédit d'impôts, hausse des taux contraignant le financement, hausse du prix des matières premières…) s’avère un exemple édifiant. Elle rappelle le potentiel décalage entre le temps boursier d’une part, et le temps long (par définition) de cette thématique, qui nécessite des investissements importants à court terme pour des retours attendus sur le long terme. 

En restant sur une approche « long-terme », notons que l’’industrie du “private equity” s’intéresse de plus en plus aux opportunités de croissance générées par la transition énergétique, et propose des solutions d’investissement qui permettent de s'affranchir de cette volatilité tout en allongeant l’horizon d’investissement, ce qui se révèle par nature nécessaire pour appréhender les solutions réellement innovantes (Clean tech).

Une attention toute particulière doit également être portée sur une des principales forces motrices de la transition énergétique, à savoir les politiques gouvernementales, via la réglementation, en constante évolution et sources potentielles de “disruption” ou de coûts supplémentaires pour les entreprises. 

Enfin, malgré l’urgence, le rythme de la transition reste une inconnue majeure. La crise énergétique déclenchée lors de l’attaque de l’Ukraine par la Russie en 2022, ou encore les tensions entre la Chine et les Etats-Unis illustrent que des considérations de protectionnisme et de souveraineté peuvent constituer des freins à l’action, l’intérêt économique de court terme pouvant prendre l’ascendant sur l’intérêt général de long terme. Ainsi l’Allemagne n’avait-elle pas annoncé la réouverture (temporaire) de certaines centrales à charbon pour produire de l’électricité face à la diminution drastique des approvisionnements en gaz russe… ?

 

 Des répercussions structurelles sur l’environnement d'investissement

Au-delà des opportunités de croissance offertes aux acteurs de la transition, la future nouvelle donne énergétique peut également questionner sur ses répercussions sur l’environnement d’investissement et les grands équilibres de l’allocation d’actifs.

La transition énergétique, qui passera par l’électrification de nombreux de nos usages, nécessitera par exemple l’usage massif de nombreux minéraux (batteries, circuits de distribution électriques). Certains d’entre eux étant disponibles en quantité limitée, une hausse de leur prix apparaît probable, alimentant le coût des biens et services associés (« Greenflation ») et pouvant peser sur le pouvoir d’achat des ménages, et donc sur la croissance économique. Avec des répercussions potentielles sur les politiques monétaires et les équilibres des taux d’intérêt.

Les pays ayant accès à ces ressources renforceront probablement leur influence sur l’échiquier international, dont les équilibres s’en trouveront inévitablement modifiés...

 

L’investisseur individuel au cœur du changement

Si cinq secteurs d’activités (énergie, transport, industrie, agriculture et construction) sont responsables de près de 85% des émissions de gaz à effet de serre, et devraient donc connaître les transformations les plus radicales, les opportunités d’investissement ne se limitent pas qu’à ces secteurs d’activité, mais regroupent aussi des acteurs engagés dans une trajectoire d’activité plus vertueuse. 

La sélection d’acteurs, via des critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG) contribue ainsi positivement à l’objectif climatique, mais aussi à celui de la performance financière, les sociétés alignées sur les objectifs de durabilité bénéficiant d’une “prime” aux yeux des investisseurs (et inversement).

Cette approche, combinée à une démarche d’engagement auprès des dirigeants d’entreprises, par exemple lors de votes de résolutions aux Assemblées Générales, place l’investisseur dans un rôle de contributeur actif à la transition énergétique et climatique. Les solutions à sa disposition continuent d'ailleurs de se diversifier au-delà des seuls placements « actions », par exemple dans les actifs non cotés ou encore dans les obligations vertes (pour un encours de l’ordre de 550 milliards USD en 2022, selon Climate Bonds Initiatives) émises par les gouvernements ou les entreprises, offrant un champ d’investissement élargi.

Défi majeur du vingt-et-unième siècle, la transition énergétique se révèle comme une des composantes majeures de la quatrième révolution industrielle en cours, aux côtés de l’intelligence artificielle, de l’internet des objets et des biotechnologies.

L’innovation technologique y jouera un rôle central.

Son déploiement au niveau mondial restera un impératif.

Indéniablement, l’investisseur avisé devrait y déceler de nouvelles opportunités d’investissement…

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