Asset Management Europe: Monthly Macro Insights – Août 2022

Marc-Antoine Collard, Chef économiste, Directeur de la recherche, Asset Management, Europe

Le ralentissement mondial s'est amplifié sous l'effet d'une inflation galopante, conjuguée à un resserrement des conditions financières et à une dégradation du climat des affaires. Le PIB mondial s’est ainsi probablement contracté au deuxième trimestre 2022 – pour la première fois depuis sa chute de 2020 liée à la pandémie – en raison du repli du PIB en Chine, en Russie et aux États-Unis. Ces mauvaises nouvelles représentent-elles réellement de bonnes nouvelles comme le supposent certains investisseurs ?

Les risques de détérioration se matérialisent

Il est difficile d'interpréter les derniers signaux envoyés par les données macroéconomiques mondiales, alors que le rebond survenu après l’effondrement causé par la pandémie en Chine – le PIB s'est effondré de -2,6% sur une base séquentielle en glissement trimestriel au deuxième trimestre(1) – se confronte au repli de l’activité observé dans la plupart des autres pays. Or, la dynamique de croissance chinoise semble déjà s’essoufflée, comme le suggèrent les indices de confiance des entreprises manufacturières(2) ayant chuté à 49,0 en juillet – rebasculant ainsi en territoire de contraction – et non manufacturières retombé à 53,8, l'activité dans les services ayant fléchi en raison des remontées sporadiques de contaminations au Covid-19(1). En outre, l'aggravation de la crise dans le secteur immobilier freine l’investissement et les ventes de logements. De nombreux acheteurs menacent de cesser de rembourser leurs prêts, craignant que les promoteurs, en difficulté, ne soient en mesure de leur livrer des appartements pour le moment encore inachevés. Dans l'ensemble, la reprise chinoise reste fragile et pourrait appeler davantage de mesures de relance pour redresser la confiance et soutenir la croissance économique au second semestre, bien que les autorités préfèrent, pour le moment, conserver un biais modéré dans leur action.

Aux États-Unis, le PIB du deuxième trimestre a déçu (-0,2% en glissement trimestriel, ou -0,9% en rythme annualisé(3)), reculant pour la deuxième fois consécutive et renforçant, par là même, les spéculations sur l’entrée de l’économie américaine en récession. Bien que la bonne tenue du marché du travail ne le corrobore pour l’instant, les composantes de la demande les plus sensibles aux taux d’intérêts – logement, biens de consommation durables et dépenses des entreprises en équipements et structures – se sont contractées au cours du dernier trimestre, confirmant que l'économie est clairement en perte de vitesse.

À l’inverse, la croissance économique a surpris à la hausse en Zone euro (+0,7% en glissement trimestriel, selon l'estimation préliminaire(4)). Dans le détail, les données laissent entrevoir une contribution positive de la saison estivale dans le Sud (notamment en Italie et en Espagne), grâce aux puissants effets de réouverture, tandis que les problèmes d'approvisionnement en gaz semblent avoir eu un impact négatif plus important en Allemagne. En revanche, les conséquences de la guerre en Ukraine sur les principales économies européennes se ressentiront au second semestre, en raison de l’effondrement de la confiance des consommateurs, du fléchissement de l'activité manufacturière résultant de la persistance des perturbations sur les chaînes d'approvisionnement et de la hausse des coûts des intrants, ainsi que de la flambée des prix de l'énergie et d'un éventuel rationnement, la menace d'une coupure totale du gaz russe continuant de planer. En outre, la BCE a décidé de relever ses taux plus fortement qu’anticipé lors de sa réunion de juillet, avec une hausse de 50 points de base et a laissé entendre que d'autres mesures de resserrement seraient à venir, alors que l'incertitude politique en Italie est une fois de plus revenue sur le devant de la scène. En conséquence, malgré un marché du travail qui demeure robuste, un fort ralentissement est anticipé au cours des prochains mois.

La normalisation tire-t-elle à sa fin ?

Les anticipations d'inflation à long terme, restées relativement stables dans la majorité des pays avancés, et la rapide décélération de l'économie mondiale ont tempéré les craintes des investisseurs suscitées par l'ampleur des hausses de taux d'intérêt des banques centrales, ce qui a nourri le rebond des actions et des obligations en juillet.

Depuis 2021, les prix à la consommation dépassent pourtant systématiquement les prévisions. En juin dernier, ils ont augmenté de 9,1% aux États-Unis(5) et de 9,4% au Royaume-Uni, soit le rythme le plus élevé depuis 40 ans(6). Dans la Zone euro, l'inflation a atteint 8,9% en juillet, marquant un nouveau record depuis la création de l'Union monétaire(7), tandis que dans les économies émergentes, elle s’est établie à près de 10% au deuxième trimestre(8).

Bien que la hausse de l’inflation ait été tirée par un renchérissement des prix des produits de base, notamment de l’alimentation et de l'énergie, la répercussion des coûts découlant des chaînes d'approvisionnement et de la tension sur le marché du travail a également engendré des pressions sous-jacentes sur les prix. Face à la baisse brutale et inattendue du pouvoir d’achat, les négociations salariales visant à récupérer une partie de ces pertes devraient se multiplier, alimentant le risque de déclenchement d’une boucle classique prix-salaires. Ainsi, les banques centrales pourraient être contraintes de continuer à relever leurs taux d'intérêt afin de préserver leur crédibilité et d'empêcher l'inflation de s'installer à des niveaux excessifs, notamment aux États-Unis.

Tel que prévu, la Fed a procédé à un nouveau relèvement de 75 points de base de ses taux en juillet et une nouvelle hausse de 75 points de base pourrait être appropriée en septembre. Cela étant, le Président de la Fed M.Powell a souligné qu'il conviendrait, à terme, de ralentir le rythme des hausses à mesure que le taux directeur est porté en territoire restrictif, ce qui a été perçu comme un signal ouvrant la voie à un pivot de la politique monétaire.

Or, certains indicateurs de pressions salariales ont atteint des sommets. L'indice du coût du travail – l'une des mesures les plus fiables car corrigeant les variations de composition et de qualité de l'emploi – a augmenté de 5,1% en glissement annuel au deuxième trimestre(9), un plus haut dans l’historique des données disponibles remontant au premier trimestre 2002, tandis que l'indicateur de la Fed d'Atlanta a bondi pour sa part à 6,7% en glissement annuel en juin. Ces gains salariaux nécessiteraient une croissance forte et soudaine – et ainsi peu probable – de la productivité pour s’aligner avec l'objectif d'inflation de la Fed à moyen terme. Le taux de chômage américain reste très faible et le taux d’emplois vacant est exceptionnellement élevé, signe d’un marché du travail en surchauffe et d’un taux de chômage naturel potentiellement plus élevé qu’estimé. Puisqu’une détente du marché du travail permettrait d’éviter la formation d’une boucle prix-salaire, les investisseurs espèrent qu’elle se produirait par une diminution des emplois vacants et une augmentation du taux d'activité. Cependant, la théorie suggère que cela nécessiterait, notamment, une amélioration notable dans le processus d’appariement entre l'offre et la demande de travail sur laquelle la Fed n'a pourtant aucun contrôle.

En somme, la durée et la profondeur du ralentissement – ou de la récession – seront déterminées par la durée de la mise en place d’une politique restrictive de la Fed pour juguler l’inflation. À cet égard, les dynamiques actuelles du marché du travail impliquent que le sacrifice de croissance requis pourrait être supérieur au scénario privilégié par les investisseurs des marchés actions, au moment même où la courbe des taux, qui a historiquement été un indicateur plutôt efficace des récessions américaines, émet déjà des signaux inquiétants.

Achevé de rédiger le 3 août 2022

Retrouvez l'analyse complète dans la Monthly Macro Insights.

 

(1) Source : National Bureau of Statistics of China, août 2022.

(2) Indice des directeurs d’achat, indicateur reflétant la confiance des directeurs d’achat dans un secteur d’activité. Supérieur à 50 il exprime une expansion de l’activité, inférieur à 50, une contraction.

(3) Source : Bureau of Economic Analysis, août 2022.

(4) Source : Eurostat, août 2022.

(5) Source : U.S. Bureau of Labor Statistics, août 2022.

(6) Source : Office for National Statistics, août 2022.

(7) Source : Eurostat, août 2022.

(8) Source : FMI, août 2022.

(9) Source : U.S. Bureau of Labor Statistics, août 2022.

 

 

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