Asset Management Europe: Monthly Macro Insights – Juillet 2022

Marc-Antoine Collard, Chef économiste, Directeur de la recherche, Asset Management, Europe

L'économie mondiale est en perte de vitesse. Les risques de stagflation se sont accentués en raison d’une inflation toujours plus élevée, de la guerre en Ukraine et de l'impact de la pandémie. Le défi pour les banques centrales est de rétablir la stabilité des prix, tout en préservant la stabilité financière et en évitant une récession. La perspective de succès s'annonce moins probable qu'il y a quelques mois.

Les révisions à la baisse de la croissance se poursuivent…

En Chine, le rebond de l’activité économique se confirme alors que les mesures de restrictions mises en place au printemps dernier ont été levées grâce au contrôle des nouveaux cas de Covid-19. La confiance des entreprises manufacturières s'est redressée, soutenue par la normalisation des chaînes d'approvisionnement, tandis que la dynamique de réouverture stimule l'activité du secteur des services. Les entreprises expriment néanmoins des inquiétudes quant aux effets durables de la pandémie sur l'économie dans le cadre de la politique «zéro-Covid», le sous-indice des perspectives sur 12 mois de l’enquête Caixin restant inférieur à sa moyenne historique en juin.

Le rebond lié à la réouverture de l’économie chinoise est toutefois neutralisé par les freins d’une l'inflation élevée et du resserrement rapide des conditions financières. Aux États-Unis, la hausse continue des prix à la consommation et la fin des aides publiques ont conduit les ménages à emprunter par cartes de crédit et à puiser dans leur épargne pour maintenir des dépenses robustes, une tendance difficilement soutenable. D’ailleurs, les dépenses de consommation réelles ont fléchi en avril et en mai. Après s'être contracté au premier trimestre 2022, le PIB américain pourrait bien avoir de nouveau chuté au deuxième trimestre, signifiant ainsi une entrée en récession technique.

En Zone euro, la confiance des consommateurs s'est effondrée, reflétant la compression des revenus réels due à l'accélération de l'inflation malgré une forte croissance de l'emploi, ainsi qu'une plus grande incertitude. La détérioration récente de la confiance des entreprises augmente le risque que la région n’enregistre un déclin de l’activité économique au troisième trimestre 2022, les indicateurs avancés de l’enquête PMI(1) de juin, tels que les nouvelles commandes et les sous-indices des attentes des entreprises, indiquant une baisse du PIB probable dans les mois à venir.

… alors que l'inflation montre peu de signes d'essoufflement

Or, il est peu probable que les banques centrales s’émeuvent de ce ralentissement économique puisque les pressions sur les prix à la consommation ont atteint des sommets datant de plusieurs décennies.

Initialement, la montée de l'inflation était considérée comme transitoire, reflétant la hausse des prix relatifs d'un petit nombre de biens touchés par la pandémie. Cependant, cette dynamique s’est progressivement diffusée et, au début de 2022, la croissance des prix des services, qui a tendance à être plus persistante, a dépassé son niveau d'avant pandémie dans de nombreux pays.

Depuis, la guerre en Ukraine a annihilé l’espoir que la poussée inflationniste se calme rapidement. Certes, l'assouplissement des mesures de confinement et des restrictions liées à la pandémie ont contribué à réduire l'inadéquation entre l'offre et la demande dans le transport maritime, et les coûts se sont abaissés par rapport à leurs sommets de fin 2021. Cependant, les goulots d'étranglement dans le fret international restent élevés car l'invasion de l'Ukraine, ainsi que les fermetures dans les principales villes et ports de Chine en raison de la politique « zéro-Covid », ont généré une nouvelle série de chocs. Les prix des matières premières ont également considérablement augmenté, reflétant l'importance de l'approvisionnement en provenance de Russie et d'Ukraine pour de nombreux marchés. Dans plusieurs pays émergents, les risques de pénurie alimentaire s’avèrent d’ailleurs élevés compte tenu de leur dépendance à l'égard des exportations agricoles de ces deux pays.

Ainsi, la montée du coût de l'énergie et des matières premières représente un risque important de perturbation qui pourrait amplifier le ralentissement économique mondial. L'Union européenne a convenu d'un embargo sur les importations de charbon en provenance de Russie, lequel entrera en vigueur en août, et d'un embargo sur les importations de pétrole à compter de 2023. Parallèlement, la Russie a interrompu les exportations de gaz vers certains États membres. Dans l'ensemble, les importations d'énergie des économies européennes en provenance de Russie devraient fortement chuter en 2023, ce qui posera d'énormes défis. En effet, les marchés mondiaux de l'énergie sont déjà tendus, et bien que l'augmentation des livraisons de gaz naturel liquéfié puisse contribuer à atténuer toute interruption potentielle de l'approvisionnement en gaz de gazoduc vers les marchés européens, une forte concurrence supplémentaire de l'Europe pour les approvisionnements énergétiques serait susceptible de faire grimper les prix sur les marchés mondiaux, maintenant l'inflation globale à un niveau plus élevé, plus longtemps.

En outre, les marchés du travail de la plupart des économies avancés sont désormais relativement tendus. Le taux de chômage dans l'ensemble de l'OCDE est revenu au niveau le plus bas enregistré au cours des deux dernières décennies et la croissance des salaires nominaux s'est accélérée aux États-Unis et dans quelques autres pays pour atteindre des niveaux élevés par rapport aux normes d'avant la pandémie. La flambée actuelle de l'inflation ayant entraîné une baisse brutale et imprévue des salaires réels, on peut s'attendre à des tentatives de récupération de ces pertes lors des négociations salariales, avec le risque de déclencher une spirale classique salaires-prix. Dans ce contexte, les banques centrales ont décidé de relever les taux d'intérêt afin de préserver leur crédibilité et d'éviter que les anticipations d’inflation ne s'enracinent dans des niveaux élevés.

Par ailleurs, des hausses rapides et importantes des taux d'intérêt directeurs dans les économies avancées et émergentes ont entraîné un durcissement substantiel des conditions financières mondiales, suscitant des inquiétudes quant à la soutenabilité des dettes publiques de certains pays, mais encore davantage des entreprises. Cela dit, des bilans sains limitent les risques de défaut immédiats puisque de nombreuses grandes entreprises ont profité des taux bas et de l'assouplissement quantitatif pendant la pandémie pour refinancer leur dette et allonger sa maturité, ce qui retardera la vitesse à laquelle la hausse actuelle des taux d'intérêt se répercutera sur le fardeau du service de la dette. Reste que la situation actuelle représente un dilemme de taille pour les banques centrales qui devront choisir entre croissance et inflation.

Achevé de rédiger le 6 juillet 2022

Retrouvez l'analyse complète dans la Monthly Macro Insights.

 

(1) Indice des directeurs d’achat, indicateur reflétant la confiance des directeurs d’achat dans un secteur d’activité. Supérieur à 50 il exprime une expansion de l’activité, inférieur à 50, une contraction.

 

Plus d'information

Asset Management Europe