Asset Management Europe: Monthly Macro Insights – Avril 2022

Marc-Antoine Collard, Chef économiste, Directeur de la recherche, Asset Management, Europe

L'économie mondiale est confrontée à la superposition de plusieurs chocs. Les nouveaux cas de Covid-19 repartent à la hausse en Europe et en Asie – en particulier en Chine – aggravant les perturbations des chaînes d'approvisionnement. En outre, la guerre en Ukraine entravera la croissance mondiale par l’entremise de nombreux canaux. Enfin, les banques centrales subissent une pression importante pour normaliser rapidement leurs politiques.

Persistance du virus… et de l’inflation

La pandémie a grandement affecté les chaînes d'approvisionnement mondiales. Les multiples confinements et restrictions ont ralenti ou même temporairement arrêté le flux de matières premières et de produits finis, perturbant ainsi l’industrie. De nombreux secteurs sont également confrontés à des pénuries de main-d'œuvre en raison de l'évolution démographique – tels que le vieillissement et la retraite des travailleurs –, des contrôles aux frontières et des limites d'immigration, de la recherche de meilleurs salaires et des modalités de travail flexibles, et des symptômes chroniques de long terme de la Covid-19. L’engorgement des ports maritimes et l’envolée des coûts du fret ont également provoqué des perturbations. Puisque l'offre n’a pas été en mesure de s’ajuster à la demande, l'inflation a dès lors commencé à augmenter. Initialement, la plupart des économistes et des banques centrales s'attendaient à ce que cette remontée des prix soit transitoire. Or, il n’en est rien et, mois après mois, les projections ont dû être rehaussées.

Au moment même où certaines perturbations des chaînes d'approvisionnement semblaient commencer à s'estomper très progressivement, la récente résurgence de nouveaux cas engendre à nouveau un environnement incertain, notamment en raison de la politique chinoise « zéro-Covid ». L'impact négatif des restrictions de mobilité et des confinements dans de nombreuses régions chinoises a laissé des traces dans les enquêtes de mars portant sur la confiance des entreprises, les indices tombant en territoire de contraction tant dans les secteurs manufacturiers que non manufacturiers. La résurgence de Covid-19 représente ainsi un vent contraire pour le PIB chinois du premier semestre, mais aussi pour les chaînes de production mondiales, amplifiant la problématique d'inflation.

Choc majeur de la guerre

L'ampleur de l'impact économique de la guerre est très incertaine et dépendra en partie de sa durée. L'importance directe de la Russie et de l'Ukraine est relativement limitée puisqu'ils ne représentent qu'environ 2% du PIB mondial. Les liens financiers avec d'autres pays sont également modestes. Cependant, leur rôle en tant que maillon important de certaines chaînes d'approvisionnement – ils sont des sources de gaz inertes tels que l'argon et le néon, utilisés dans la fabrication de semi-conducteurs – ainsi que de fournisseurs majeurs de matières premières (pétrole, gaz, blé) leur donnent une influence significative sur l'économie mondiale.

En conséquence, le conflit sera un frein substantiel à la croissance mondiale en raison de son impact significatif sur l'inflation, érodant le pouvoir d’achat et pesant sur la demande globale. Au niveau régional, les économies européennes seront probablement les plus durement touchées, reflet des augmentations plus importantes des prix du gaz par rapport à d'autres régions du monde, mais également de la vigueur relative des liens commerciaux et énergétiques avec la Russie.

Par ailleurs, dans certains pays émergents, les risques liés aux produits agricoles ne sont pas seulement économiques, mais aussi humanitaires avec une forte augmentation de la pauvreté et éventuellement de la famine, d'autant que la perturbation de la fabrication d’engrais pourrait rendre les récents mouvements de prix plus durables en mettant la production des prochaines années sous tension. Bien qu'il ne s'agisse pas du seul facteur, la pénurie alimentaire a joué un rôle important dans le printemps arabe de 2010 et les troubles sociaux constituent désormais un risque à ne pas négliger dans certaines régions du monde.

Les investisseurs restent néanmoins prudemment optimistes. À l'échelle mondiale, la dynamique de l'activité économique avant la guerre était robuste. L'emploi se développe à un rythme soutenu et les marchés du travail tendus devraient faire augmenter les salaires. De plus, la résilience de la croissance reposerait sur le fait que les ménages pourront puiser dans leur épargne face à une forte compression du pouvoir d'achat et que les entreprises pourraient décider de continuer d'embaucher malgré l'incertitude croissante. De son côté, la politique budgétaire devrait être favorable, agissant pour protéger le consommateur des fluctuations des prix des matières premières. Les bilans financiers sains du secteur privé pourraient également amortir la hausse des taux d'intérêt liée au resserrement monétaire.

Resserrement monétaire 

Depuis 1980, l'économie mondiale a été régulièrement secouée par des événements géopolitiques qui ont entraîné des chocs négatifs sur l'offre de matières premières, mais la flambée des prix qui a suivi ne s'est jamais accompagnée de pressions généralisées sur l’inflation tendancielle. Par conséquent, les politiques monétaires ont rarement été modifiées à la suite de ces chocs. Cependant, la situation actuelle est différente et le conflit russo-ukrainien s'insère dans un environnement où l'inflation était déjà alimentée par les pénuries prolongées d'intrants et les perturbations des chaînes de production. Ainsi, malgré le fait que les risques pesant sur la croissance mondiale sont orientés à la baisse, les banques centrales sont désormais contraintes de se concentrer sur le maintien d'anticipations d'inflation bien ancrées, d'où les nombreuses annonces de plans de resserrement des politiques dans le but évident de préserver une précieuse crédibilité.

Sans surprise, le président Powell a rassuré les investisseurs sur le fait que la Fed peut augmenter suffisamment les taux d’intérêt pour juguler l'inflation sans pour autant provoquer simultanément une récession, notant que cela s'est produit 3 fois dans l'histoire moderne, en 1965, 1984 et 1994. Cependant, la comparaison n'est pas simple. Au cours de ces épisodes, le taux d'inflation oscillait autour de 3% et la Fed tentait principalement d'éviter que le rythme soit encore plus soutenu. Or, l'inflation s'est accélérée pour atteindre 7,9% en février dernier et devrait encore augmenter(1). La tâche consiste donc à réduire significativement la croissance des prix. L’empressement de la Fed à se diriger vers une normalisation est également empreint d’incertitude en ce qui concerne le taux directeur « neutre », niveau à partir duquel la politique monétaire devient restrictive, alors que certains l’estiment à 3%, et que d’autres, à 2%.

Plus fondamentalement, les principaux outils des banques centrales – les taux d'intérêt et la taille/composition du bilan – s’avèrent inadaptés à la résolution de chocs du côté de l'offre. En effet, la politique monétaire ne peut produire de semi-conducteurs pour l'industrie automobile, ni de gaz naturel, ou encore, améliorer instantanément les inadéquations sur le marché du travail. Par conséquent, plus l'offre mondiale est inélastique, plus les banques centrales pourraient être contraintes d'orchestrer un ralentissement économique important pour rétablir l'équilibre avec la demande mondiale. En effet, si cette dernière reste robuste malgré le resserrement de la politique, il est peu probable que l'inflation converge vers les cibles, à moins que les problèmes d'approvisionnement ne soient résolus rapidement. En tout cas, le marché obligataire américain semble avoir pris note du défi et l'inversion de la courbe des taux(2) suggère que les risques de récession ont nettement augmenté… à moins que cette fois-ci soit différente.

Achevé de rédiger le 6 avril 2022

Retrouvez l'analyse complète dans la Monthly Macro Insights.

 

(1) source : U.S. Department of Labor.
(2) Représentation graphique des rendements des titres obligataires en fonction de leurs différentes échéances. Dans le cas général, les taux d’intérêt vont croissant avec la date d’échéance des titres obligataires.

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