Asset Management Europe: Lettre Mensuelle - Octobre 2020

Marc-Antoine Collard, Chef économiste, Directeur de la recherche, Asset Management, Europe

Évolution de la conjuncture

Bien que les PIB du troisième trimestre ne soient pas encore disponibles, on s’attend à un puissant rebond synchronisé grâce à l’assouplissement des mesures de confinement et à une demande latente ayant pu s’exprimer. Les perspectives économiques demeurent néanmoins particulièrement incertaines tandis que les risques géopolitiques restent bien présents.

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Les signaux récents des indicateurs haute-fréquence ainsi que des enquêtes de confiance des entreprises suggèrent un essoufflement de la reprise économique. En effet, les re-confinements localisés, de même que les nouvelles restrictions imposées pour endiguer la deuxième vague de contaminations, ont contribué à une perte de vitesse de l’activité. Cependant, grâce à l’amélioration des traitements, les taux d’hospitalisations et de mortalité restent faibles, ce qui permettrait d’éviter de revivre le niveau élevé et généralisé des restrictions du printemps dernier.

Le choc de la Covid-19 a eu des effets dévastateurs sur certains secteurs – dont les voyages et le tourisme, l’hébergement et la restauration, ainsi que la culture – et ces derniers devront affronter des vents contraires persistants, notamment en raison d’une lente normalisation de la mobilité internationale. Puisqu’il n’existe qu’un nombre limité de données permettant de suivre les progrès du secteur des services – rien qui ne ressemble aux données mensuelles de production industrielle, par exemple – les économistes s’appuient, entre autres, sur l’indice Markit portant sur la confiance des entreprises de services pour en suivre l’évolution et les dernières données ont fait état d’un recul en septembre. S’il est trop tôt pour déterminer avec certitude qu’il s’agisse d’un retournement, cette baisse rappelle que, malgré la bonne tenue du secteur industriel, une reprise modérée du secteur des services pourrait contribuer à alourdir la dynamique de croissance au cours des prochains mois.

En outre, certains développements ont renforcé les craintes concernant l’ampleur du soutien des politiques fiscales. Aux États-Unis, bien que la hausse des dépenses des consommateurs se poursuive, le rythme s’est néanmoins essoufflé. En effet, la chute du soutien des prestations d’assurance chômage a entraîné une baisse du revenu réel disponible en août et les ménages ont dû puiser dans leurs réserves constituées grâce au stimulus voté au printemps dernier, conduisant à une baisse du taux d’épargne.

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La Chambre des Représentants, contrôlée par les démocrates, a voté un nouveau programme de 2,2 trillions de dollars, mais sans l’approbation des sénateurs républicains et de l’Administration Trump, menant ainsi à une impasse budgétaire. Pourtant, la Fed a martelé à de multiples reprises qu’un plan de soutien apparaissait essentiel, allant même jusqu’à souligner que son absence fragiliserait grandement la reprise économique américaine. Il est d’ailleurs tout à fait inhabituel que la Fed prenne part au débat public en ce qui concerne les politiques budgétaires américaines, d’autant plus à quelques semaines des élections, ce qui témoigne manifestement de l’importance de l’enjeu.

Au Royaume-Uni, le Ministre des Finances a annoncé un nouveau programme de soutien à l’emploi, succédant au programme de chômage partiel se terminant le 31 octobre prochain et qui consistait à remplacer jusqu’à 80% des salaires pour les personnes ne pouvant plus travailler à cause de la Covid-19. Dans le cadre du nouveau programme, les salariés se verront garantir un peu plus de 75% de leur salaire, mais les employeurs devront payer jusqu’à 55% de la facture. Or, ces derniers pourraient décider de licencier plutôt que de payer pour des heures non travaillées, avec comme conséquence une augmentation du taux de chômage.

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En somme, les perspectives de croissance dépendent de multiples facteurs, dont l’ampleur et la durée de nouvelles vagues de l’épidémie, le maintien ou le renforcement des mesures de confinement, de même que la manière dont les dispositifs de soutien budgétaire soutiennent la demande. De plus, deux éléments géopolitiques évolueront rapidement au cours des semaines à venir : la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne et les élections américaines.

Le Premier Ministre anglais M. Johnson et la Présidente de la Commission Européenne Mme von der Leyen se sont personnellement engagés dans l’espoir de débloquer les négociations sur le « Brexit ». Les aides d’État, la question de la pêche et les mécanismes de règlement des litiges sont parmi les sujets de friction. En ce qui concerne ce dernier point, Bruxelles est convaincu de la nécessité d’un mécanisme robuste de résolution des différends, et cette problématique a pris un caractère d’urgence depuis l’introduction par le Gouvernement anglais d’un projet de loi sur son Marché intérieur qui violerait l’Accord de retrait signé plus tôt cette l’année.

La Commission Européenne a d’ailleurs lancé de manière formelle une procédure d’infraction puisque le projet de loi porte atteinte à l’obligation de coopération de bonne foi contenue dans l’Accord. Désormais, la question est de savoir si les deux parties seront en mesure de s’entendre, notamment en ce qui a trait à l’épineuse question de l’étendue de la souveraineté britannique. Les leaders européens feront un bilan sur l’avancement des discussions lors d’un sommet organisé les 15 et 16 octobre prochains, le délai réaliste en vue de la signature d’un accord se situant fin octobre, afin de laisser assez de temps au Parlement européen, aux Parlements nationaux et à la Chambre des Communes pour ratifier un possible traité. 

Le second risque géopolitique concerne les élections présidentielles américaines. Tandis que les sondages suggèrent une victoire du candidat démocrate Joe Biden, le Président Donald Trump a indiqué qu’il pourrait ne pas concéder sa défaite le 3 novembre, remettant de nouveau en cause le vote postal, bien qu’il n’y ait aucune preuve concrète que ce processus puisse donner lieu à une fraude. En refusant de s’engager fermement envers une passation de pouvoir pacifique, M. Trump mènerait les États-Unis en territoire inconnu, et la manière dont cette situation pourrait se résoudre est incertaine. Lors des élections présidentielles passées, les candidats perdants ont toujours concédé leur défaite, même lors de résultats électoraux serrés, comme pour l’élection de 1960, lorsque John F. Kennedy a battu Richard Nixon d’une courte tête, ou George W. Bush a devancé Al Gore en Floride en 2000.

Cela étant, après un débat présidentiel acrimonieux et chaotique entre les deux candidats, l’avance de M. Biden s’est creusée, limitant ainsi le risque d’une élection contestée et augmentant les chances d’une victoire des démocrates, tant à la Maison Blanche qu’au Sénat. Un tel scénario rendrait d’ailleurs plus probable l’articulation d’un plan de relance budgétaire de grande ampleur. Le soutien fiscal massif et rapide mis en place depuis le début de la pandémie a prouvé son efficacité, évitant une contraction économique qui aurait pu être encore plus violente. Or, la continuité du soutien budgétaire s’avère nécessaire afin de permettre une reprise durable. Certes, la santé des finances publiques devra bien entendu être restaurée à terme et représente un défi de taille, mais la mise en place de politiques de contrôle budgétaire, ou même d’austérité, demeure hautement prématurée.

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