
Santé : dynamiques de croissance et opportunités dans le non-côté
Le marché mondial de la santé connaît une croissance soutenue, avec des dépenses estimées à environ 10 000 milliards de dollars aujourd’hui, et qui devraient atteindre près de 15 000 milliards de dollars d’ici 2030(1). Derrière ces chiffres, il est essentiel de noter que le secteur est principalement dominé par les États-Unis qui concentrent près de 60 % du marché mondial.
Cette dynamique forte repose sur des tendances structurelles de long terme. En effet, le vieillissement de la population accroît la demande en soins et en infrastructures médicales, tandis que l’incidence des maladies chroniques, comme le diabète, les cancers et les pathologies cardiovasculaires, ne cesse de progresser sous l’effet de l’évolution des modes de vie et de l’allongement de l’espérance de vie. Parallèlement, les avancées technologiques et scientifiques transforment en profondeur l’industrie, permettant le développement de nouveaux traitements et révolutionnant la prise en charge des patients.
Au-delà de cette vision d’ensemble, il est essentiel de décrypter les différentes dynamiques qui façonnent ce marché particulièrement vaste et fragmenté. La diversité des acteurs et des segments impose une grille de lecture fine, tant les opportunités d’investissement peuvent varier en fonction des spécialités médicales, des innovations et des modèles économiques. Si les sociétés cotées offrent une exposition directe aux grandes tendances du secteur, les investissements dans des entreprises non cotées jouent un rôle complémentaire et stratégique.
Une segmentation essentielle
Plutôt que d’appréhender la santé comme un bloc monolithique, il est crucial d’en distinguer les différents compartiments et d’adopter une approche rigoureuse pour identifier les segments les plus attractifs et éviter les zones à risque ou présentant une moindre rentabilité.
L’industrie de la Biotech et de la Pharma, par exemple, repose sur un modèle hautement spéculatif et volatil, où le taux d’échec des études cliniques peut atteindre 95 % en phase préliminaire. « Investir dans ces secteurs signifie parier sur des développements à très long terme, avec une forte incertitude », précise Pierre Moustial.
« Nous avons fait le choix de ne pas investir dans certains segments comme la Biotech, qui présente un profil de risque totalement différent et relève davantage du capital-risque. De même, nous ne nous positionnons pas sur les services aux patients, un marché où de nombreux fonds sont déjà présents et où la rentabilité par rapport au marché total est moindre », précise Claire Zarouk.
Il est essentiel de diviser ce marché en plusieurs sous-secteurs pour adopter une grille d’analyse efficace et optimiser les choix d’investissement.
Le fonds GHO se concentre sur cinq sous-secteurs : la BioPharma, qui inclut les services liés au développement et à la production pour l’industrie pharmaceutique et biotech ; la Medtech, centrée sur les dispositifs médicaux et les innovations technologiques appliquées aux soins ; le segment des sciences de la vie et du diagnostic, comprenant les avancées en biologie moléculaire, les tests diagnostiques et les outils permettant une meilleure compréhension et prise en charge des pathologies ; la Healthtech, regroupant les solutions numériques appliquées à la santé, telles que la télémédecine, les plateformes de gestion des soins ou encore l’intelligence artificielle appliquée au diagnostic ; enfin, le secteur des données et du conseil, couvrant l’analyse des big data en santé ainsi que l’accompagnement stratégique des acteurs du marché.
Lauxera se concentre sur la Healthtech, qui comprend plusieurs segments à forte valeur ajoutée dans l’innovation à trois niveaux : pour les patients, pour la pharma et les medtech et pour les hôpitaux. « La Medtech, par exemple, couvre un spectre allant du scanner au pansement, en passant par les stents », explique Pierre Moustial. Un segment particulièrement prometteur concerne les logiciels et la data, apportant des gains de productivité essentiels aux systèmes de santé. Un autre axe stratégique repose sur ce qu’il appelle « la stratégie des pelles et des pioches ». En effet, selon Pierre Moustial, « la Big Pharma et la Biotech sont les chercheurs d’or qui vont trouver les médicaments de demain, tandis que Lauxera préfère investir dans ceux qui fournissent le matériel, les études et les équipements. Cette approche permet de bénéficier de la croissance du secteur sans être exposé au risque d’échec clinique ou aux défaillances financières d’une seule biotech. »
L’exemple de la société Verdot illustre parfaitement cette approche. Cette entreprise française fournit des équipements de purification pour la thérapie génique, un domaine en plein essor. « Nous sommes certains que la thérapie génique va se développer, mais incapables de prédire quelles entreprises émergeront comme leaders. En investissant dans Verdot, nous capturons cette croissance tout en diversifiant notre risque, car la société compte une centaine de clients, comme Sanofi ou AstraZeneca », explique Pierre Moustial.
Ce type d’investissement offre un double avantage : une création de valeur opérationnelle basée sur la production et le développement commercial, et un impact fort sur les systèmes de santé. « En soutenant des entreprises comme Verdot, nous participons à l’essor de médicaments innovants tout en contribuant à la réduction des coûts de développement, un enjeu clé pour les patients comme pour les systèmes de santé. Verdot réussit également à réduire son impact environnemental, en produisant des équipements plus légers et en compensant ses émissions de CO2. », conclut-il.
La complémentarité entre investissements cotés et non cotés
Si le secteur de la santé offre de nombreuses opportunités d’investissement, il est essentiel de comprendre la répartition entre les marchés cotés et non cotés, ainsi que les complémentarités entre ces deux univers. Elena Coluccelli indique que « les sociétés de Pharma et Biotech dominent le marché public en cherchant à lever des fonds boursiers, en raison de leur fort besoin en capitaux. Leur exposition au risque les pousse à s’introduire en bourse pour financer leur développement, créant ainsi des aléas et parfois des désillusions pour les investisseurs ».
Un autre segment largement représenté en bourse est celui du Patient Care(2), qui regroupe les services aux patients, tels que les réseaux de cliniques et les laboratoires d’analyses. « Ce secteur, qui a longtemps bénéficié d’une dynamique de consolidation, a récemment été pénalisé en bourse, notamment en raison des pressions sur les coûts et des incertitudes réglementaires », souligne Elena Coluccelli.
Les marchés privés offrent des opportunités moins accessibles en bourse, notamment dans la Medtech, le diagnostic et les services aux entreprises pharmaceutiques. « Il y a très peu de sociétés cotées dans ces domaines, surtout en Europe », explique-t-elle. Une stratégie d’investissement combinée permet de tirer avantage des deux types de marchés. L’investissement dans le privé offre une diversification en accédant à des segments moins volatils et souvent spécialisés, tandis que les marchés publics offrent plus de liquidité et une exposition aux tendances du secteur.

« Si l’Europe demeure un véritable vivier d’innovations, les États-Unis restent la terre d’industrialisation et de rentabilité...»
La prédominance du marché américain et le rôle majeur de l’Europe dans l’innovation
Le marché américain domine incontestablement le secteur de la santé, tant par le niveau de ses dépenses que par l’intensité de ses transactions. Avec plus de 15 % de son PIB consacré à la santé, il concentre une part majeure des investissements mondiaux et offre des perspectives commerciales inégalées.
Pourtant, l’Europe se distingue par une capacité d’innovation remarquable, bien que largement sous-financée par rapport à son potentiel. Face à cette réalité, de nombreuses entreprises européennes se tournent vers les États-Unis pour accélérer leur développement. Contrairement à l’Europe, où chaque pays impose ses propres réglementations en matière de remboursement, le marché américain repose sur un cadre plus homogène. Une autorisation de la FDA(3) suffit pour commercialiser un produit sur l’ensemble du territoire, alors qu’en Europe, il faut naviguer à travers 27 régulations différentes. En outre, la taille du marché américain, avec ses 330 millions d’habitants et son système de santé avancé, offre des opportunités incomparables. Mais c’est surtout la structure des prix qui constitue un levier déterminant : les niveaux de remboursement y sont en moyenne dix fois plus élevés qu’en Europe, avec des écarts pouvant atteindre un rapport de 1 à 30 dans certains cas.
Dans ce contexte, les sociétés du secteur doivent faire des choix stratégiques. Comme le souligne Lauxera, une entreprise européenne générant entre 10 et 20 millions d’euros de chiffre d’affaires doit concentrer ses efforts là où la rentabilité est la plus forte pour maximiser sa croissance, et c’est bien souvent aux États-Unis que cette équation prend tout son sens. Certaines entreprises du portefeuille de Lauxera réalisent d’ailleurs jusqu’à 80 % de leur chiffre d’affaires outre-Atlantique, voire la totalité de leurs bénéfices.
Ainsi, si l’Europe demeure un véritable vivier d’innovations, les États-Unis restent la terre d’industrialisation et de rentabilité. Cette complémentarité entre la créativité européenne et la puissance financière américaine façonne aujourd’hui les dynamiques d’investissement dans la Healthtech.
Trois thèses d’investissement clés
L’investissement dans le secteur de la santé et en particulier dans les sociétés non cotées présente trois thèses d’investissement : miser sur l’innovation technologique, consolider le marché via le buy-out(4) et enfin, l’expansion internationale. Ces trois stratégies permettent de maximiser la croissance et la rentabilité des entreprises tout en répondant à des besoins spécifiques du marché.
1- Capitaliser sur l'innovation et l'expertise
La croissance organique repose sur le développement interne d’une entreprise, en s’appuyant sur son savoir-faire, ses technologies et son positionnement de marché. Dans le secteur des services et technologies de santé, cela implique une forte capacité d’innovation, un développement commercial soutenu et une montée en échelle progressive. Les entreprises qui réussissent cette stratégie sont souvent caractérisées par des compétences scientifiques avancées et une différenciation technologique forte.
Un exemple concret de cette thèse d’investissement est la société anglaise OrganOx, qui fait partie du portefeuille de Lauxera. OrganOx a mis au point un dispositif innovant qui maintient les foies à transplanter à température corporelle stable, en les perfusant continuellement avec du sang oxygéné, des médicaments et des nutriments. Cette technologie permet une évaluation fonctionnelle en temps réel des foies avant la transplantation, réduisant ainsi le risque de rejet du greffon.
Les essais cliniques ont démontré que 30 % des foies initialement rejetés pouvaient être récupérés et transplantés après une évaluation sur ce dispositif. De plus, celui-ci offre une logistique simplifiée des transplantations, en allongeant la fenêtre de conservation jusqu’à 48 voire 72 heures, ce qui réduit l’urgence des interventions chirurgicales et permet une planification plus flexible des opérations, améliorant ainsi les conditions de travail des chirurgiens. Cette technologie contribue donc à augmenter le nombre de vies sauvées, à réduire les listes d’attente et à améliorer la sécurité des transplantations hépatiques.
2- Consolider le marché pour accélérer la croissance
La stratégie de buy & build rrepose sur l’acquisition et l’intégration d’entreprises complémentaires afin de renforcer une position de marché. Ce modèle est particulièrement répandu dans le secteur des services de santé, où les CRO 5 et les CDMO 6 jouent un rôle central. En externalisant des fonctions clés comme la recherche clinique et la fabrication de médicaments, ces organisations permettent aux entreprises pharmaceutiques et biotechnologiques d’accélérer leur développement.
3- Expansion internationale : transformer un champion régional en acteur stratégique global
L’internationalisation est une thèse d’investissement essentielle pour transformer des champions régionaux en acteurs globaux. « Plus des trois quarts de nos entreprises ont une présence transatlantique », souligne Claire Zarouk, illustrant ainsi l’importance d’un ancrage sur les deux principaux marchés de la santé.
Ce type de M&A transatlantique est une priorité stratégique tant pour GHO que pour Lauxera. « Ces deux marchés sont les plus matures et les plus développés, c’est là que se trouvent les clients. Il est donc essentiel d’y être présent de manière structurée », insiste Claire Zarouk. Cette dynamique permet d’augmenter significativement la valeur stratégique des entreprises et de leur offrir un positionnement véritablement international.
Le cas de RoslinCT, une entreprise écossaise spécialisée dans la thérapie cellulaire et génétique, en est une parfaite illustration. Historiquement issue de l’Université d’Édimbourg et pionnière dans le clonage avec la brebis Dolly, RoslinCT disposait d’une expertise scientifique de premier plan, avec un ancrage académique qui offrait l’opportunité de professionnaliser davantage l’entreprise en optimisant ses systèmes opérationnels afin de soutenir son développement futur. « Quand on a investi, ils étaient uniquement présents au Royaume-Uni. Or, 60 % des clients biotech qui développent des thérapies cellulaires et génétiques sont basés aux États-Unis », explique Claire Zarouk.
L’objectif était donc clair : professionnaliser l’entreprise et lui donner une dimension globale. Dans l’année qui a suivi l’investissement, RoslinCT a acquis Lykan Bioscience, une entreprise basée près de Boston, rebaptisée depuis sous la marque RoslinCT. « Ce rachat a permis non seulement d’accélérer la présence sur le marché nord-américain, mais aussi d’accéder à une équipe commerciale déjà établie avec des relations locales solides », détaille Claire Zarouk. Au-delà de l’implantation, cette opération a également élargi les capacités technologiques de RoslinCT en intégrant des expertises complémentaires en thérapie cellulaire et génétique.
Valorisation : un marché structuré par la croissance et la technologie
La valorisation des entreprises de services et technologies de santé dépend fortement de leur positionnement sur l’échelle technologique et de leur potentiel de croissance. Les sociétés technologiques se valorisent principalement sur la croissance du chiffre d’affaires, avec des multiples élevés pouvant dépasser 5 fois le chiffre d’affaires ou 15 à 20 fois l’EBITDA (7). Les sociétés de services présentent des multiples plus variés selon leur degré de spécialisation et leur taux de croissance. Les stratégies de buy & build optimisent la valorisation en intégrant des cibles à des multiples inférieurs, générant ainsi une augmentation progressive de la valeur grâce aux synergies mises en place.
La composition des équipes d’investissement, un élément déterminant pour les fonds d’investissement
La composition des équipes d’investissement joue un rôle clé dans la réussite, compte tenu de la complexité et des exigences propres à ce secteur. Disposer d’équipes diversifiées et d’un réseau d’experts solide permet non seulement de mieux appréhender les spécificités du marché, mais aussi de maximiser la création de valeur et d’accompagner efficacement la croissance des sociétés.
Pierre Moustial explique : « En termes d’équipes d’investissement, nous avons des profils diversifiés : des profils classiques de banquiers d’investissement et de consultants, mais nous avons aussi des profils experts ou anciens dirigeants d’entreprises sur le marché de la santé. Ils apportent une expertise en termes de management d’entreprise et de vision stratégique, ce qui nous aide énormément à gagner des deals et apporte ensuite une énorme valeur ajoutée à nos sociétés en portefeuille ».
Claire Zarouk ajoute : « Nous avons un réseau d’experts externe à GHO. Ils ont l’expertise nécessaire pour identifier les risques, poser les bonnes questions et déterminer ce qui est vraiment important ».
Ces équipes diversifiées apportent une valeur ajoutée significative, tant pour gagner les deals que pour l’exécution des projets.
Stratégies de sortie et enjeux géopolitiques
En 2025, le secteur de la santé continue de démontrer sa résilience et son caractère contra-cyclique, attirant des acquéreurs stratégiques prêts à investir. Les grands groupes, notamment américains, se montrent disposés à payer des primes élevées pour des acquisitions clés, accélérant ainsi les processus de négociation. Les valorisations restent soutenues, en particulier dans les segments les plus innovants du marché.
Sur le plan géopolitique, le retour de Donald Trump au pouvoir pourrait redéfinir certaines dynamiques. Sa volonté affichée de renégocier fermement avec les grands laboratoires pharmaceutiques pourrait exercer une pression sur les prix des médicaments. Cependant, les entreprises positionnées sur des technologies différenciantes, moins dépendantes des prix de remboursement réglementés, bénéficient d’une protection relative face à ces fluctuations. De plus, les produits de santé, vecteurs de productivité et d’efficacité, sont globalement moins sensibles aux variations de prix, préservant ainsi leur compétitivité.
Par ailleurs, la politique de déréglementation, notamment à travers le programme « Breakthrough Therapy Designation », accélère l’approbation des dispositifs médicaux aux États-Unis, un facteur clé pour la Healthtech.
Enfin, les tensions géopolitiques, notamment en Asie, pourraient intensifier la concurrence en Europe. Les entreprises Medtech européennes, soumises à une pression accrue, seront incitées soit à renforcer leur présence sur le marché américain, soit à accroître leur compétitivité pour se différencier dans un environnement de plus en plus disputé.
(1) Source : World Health Organization, Global Health Expenditure Database.
(2) Soins aux patients
(3) Food and Drug Administration, l’autorité de régulation américaine.
(4) Rachat d’entreprise via un financement majoritairement composé de dette.
(5)Contract Research Organization : les CRO accompagnent les laboratoires dans la recherche clinique, la gestion des essais, la rédaction médicale et la coordination des projets.
(6) Contract Development and Manufacturing Organization : les CDMO prennent en charge l’ensemble du cycle de vie des médicaments, du développement à la fabrication, en passant par les essais cliniques et la production des matières premières.
(7) Bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement
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