
Quelle gouvernance au sein des sociétés familiales ?
Les sociétés familiales représentent une part significative du tissu économique. Qu’elles détiennent une entreprise opérationnelle ou des actifs financiers et immobiliers, ces structures permettent de déterminer finement les règles qui régiront la gestion de ces biens dans la durée. Tour d’horizon des questions à se poser et des bonnes pratiques concernant les règles de gouvernance autour de deux variantes : une société patrimoniale et une entreprise familiale.
Une gouvernance, pour quoi faire ?
Une structure sociétaire peut répondre à plusieurs préoccupations. Dans le cadre d’une transmission en pleine propriété ou en nue-propriété, elle permet d’éviter l’indivision et d’assurer la gestion d’un bien immobilier ou d’un actif financier entre plusieurs détenteurs. Pour une entreprise familiale, elle offre, via une holding, un cadre de détention ayant vocation à pérenniser la prospérité du groupe. Dans chacune de ces situations, il convient de déterminer les modalités de fonctionnement de la société avec pour ambition de favoriser une gestion commune et harmonieuse, une convergence d’intérêts et d’anticiper les situations de blocage : c’est ce que l’on appelle communément la gouvernance. Les règles qu’elle met en place vont permettre de définir les droits et devoirs des actionnaires, d’encadrer le choix des dirigeants, leurs pouvoirs, de déterminer les conditions de liquidité et de transmission des titres ou encore de spécifier les droits aux dividendes.
Quel type de structure adopter ?
Ce sont dans les statuts de la société que figurent les caractéristiques principales de celle-ci (dénomination, objet social) mais aussi et surtout le mode de nomination ou révocation des dirigeants, leurs pouvoirs et les modalités de fonctionnement en assemblée générale. Le choix de la forme sociale s’avère donc stratégique car il détermine les règles de gouvernance. Différentes options sont possibles avec pour chacune d’elles, un cadre plus ou moins rigide imposé par la loi (voir tableau ci-dessous). La Société Anonyme (SA) ou la Société à Responsabilité Limitée (SARL) seront généralement écartées car les dispositions du Code de commerce laissent peu de marge de manœuvre pour personnaliser les règles statutaires. Pour les SC et les SAS, au contraire, les contraintes légales concernant leurs statuts sont beaucoup plus réduites. Elles offrent souplesse et liberté, il sera donc possible de prévoir de nombreux aménagements (droits à dividende spécifique, droits de vote multiples, révocation du dirigeant à l’unanimité, etc). La société civile aura pour principaux inconvénients d’engager la responsabilité illimitée de ses associés et d’imposer un objet social civil qui ne conviendra donc pas aux holdings animatrices ni bien évidemment aux sociétés qui exercent une activité commerciale.
Les statuts d’une société doivent obligatoirement être établis par écrit. Ils doivent être publiés et donc publics. Ceci permet d’assurer une parfaite transparence sur les règles d’organisation prévues et leur confère une plus forte opposabilité aux tiers. Cependant, ce n’est pas le domaine de la discrétion pour celles et ceux qui ne veulent pas divulguer au public leurs arrangements familiaux.
En revanche, les statuts ont par ailleurs l’avantage d’être un support pérenne qui s’impose à tous les associés présents et futurs et ce pendant toute la durée de vie de la société. Les règles inscrites dans les statuts ne pourront être modifiées que par une assemblée générale aux conditions de majorité définies statutairement. Enfin, un intérêt majeur des statuts réside dans leur force juridique. La jurisprudence les place au-dessus des actes extrastatutaires (pacte d’actionnaires etc). Ainsi, une règle édictée en dehors des statuts ne devrait pas pouvoir contrevenir à ceux-ci. Les sanctions liées au non-respect d’une clause statutaire sont plus fortes qu’en cas de violation d’une règle inscrite dans un acte extra-statutaire.
Le cas particulier de la société en commandite par actions (SCA)
- d’une part, des associés commanditaires qui ont une responsabilité limitée. Ils ont principalement droit à la détention de la valeur économique et aux résultats de la société. Leur part dans le capital peut être très importante mais ils ne peuvent pas de s’immiscer dans la gestion.
- d’autre part, des associés cont une responsabilité indéfinie et solidaire et peuvent détenir une portion faible du capital. Le commandité peut être le gérant de la société.

« Il convient de déterminer les modalités de fonctionnement de la société avec pour ambition de favoriser une gestion commune et harmonieuse, une convergence d'intérêt et d'anticiper les situations de blocage...»
Gestion d’actifs financiers ou immobiliers : avantage à la société civile
La société civile demeure à juste titre l’entité la plus utilisée pour gérer des actifs immobiliers ou financiers dans l’intérêt commun de ses différents associés. L’objet social civil conviendra parfaitement à ce type de biens et la société pourra bénéficier de la transparence fiscale évitant ainsi une surcouche de fiscalité(1). Grâce à la souplesse de ses statuts, la société civile est un excellent vecteur pour décorréler le pouvoir de gestion et la détention du patrimoine. Ainsi, dans les schémas de transmission, elle est souvent utilisée dans le cadre d’une donation de parts car elle permet au parent donateur de demeurer gérant des biens à l’actif de la société.
L’importance des assemblées générales des associés
Les dispositions des statuts devront tout d’abord prêter une attention particulière aux règles régissant la tenue des assemblées générales des associés. En effet, les décisions les plus importantes concernant la vie de la société seront prises au cours de ces assemblées et il est tout à fait possible d’adapter les règles de majorité en fonction du type de décision à prendre. Ainsi, il pourra être prévu pour certains actes tels que la cession des biens appartenant à la société ou la modification des statuts d’avoir recours à une majorité renforcée, souvent des deux tiers ou trois quarts des votes. À la suite de la transmission, il est possible que le donateur ne conserve que quelques parts et perdre ainsi la majorité des droits de vote. Aussi, il sera possible de prévoir des prises de décision à l’unanimité des associés. Cela permettra aux parents de disposer d’un droit de blocage / droit de veto quand bien même ils seraient devenus extrêmement minoritaires. Prudence cependant, car l’unanimité peut s’avérer complexe en cas de divorce ou de séparation entre des époux associés.
Le gérant et ses pouvoirs : clé de voute du dispositif
Un élément clé de la gouvernance de la société réside dans le choix et les pouvoirs du gérant. Le plus souvent, le parent fondateur et donateur souhaitera se réserver d’importantes prérogatives, ce qui est tout à fait possible en matière de société civile. Il sera alors indispensable d’être vigilant quant aux règles de révocation du gérant. Il nous semble par ailleurs essentiel que les statuts prévoient des dispositions pour la nomination d’un nouveau gérant en cas d’incapacité du dirigeant en place. Les statuts devront également délimiter les pouvoirs du gérant. Ces derniers pourront être très étendus (dans la limite de l’objet social) ou alors plus limités et soumis à des autorisations de la collectivité des associés pour certaines décisions identifiées dans les statuts (exemple : conclusion d’un emprunt > 1 M€). Il est tout à fait possible de moduler les règles : du vivant du parent donateur, celui-ci étant le gérant, il lui est loisible de conserver des pouvoirs très significatifs (comme celui de liquider les actifs). En revanche, à son décès, il peut être prévu que le gérant qui lui succèdera (un des enfants en principe) aura besoin d’obtenir une autorisation de ses frères et sœurs pour les actes les plus engageants.
Transmission et liquidité des parts sociales : impacts à considérer
Enfin, la société civile est particulièrement adaptée pour encadrer les transferts de titres et le cas échéant, permettre de conserver le caractère familial de la structure dans la durée.Par principe, toute cession de parts doit être autorisée par les associés au travers d’une clause d’agrément. Cette dernière peut être aménagée et nécessite une attention particulière. La clause d’agrément devra être précise sur son champ d’applicationn. Il faut noter que le droit de retrait est légal dans une société civile. Il peut être demandé à tout moment pour obtenir le remboursement de la valeur de ses parts sociales. Ce retrait devra cependant être autorisé par une décision collective des associés à laquelle il serait plus prudent que le parent donateur puisse prendre part (à noter que le retrait peut aussi être demandé au juge pour justes motifs). Il convient également de rappeler qu’une donation de parts peut interdire la disposition de ces titres pendant une certaine durée indépendamment du droit de retrait.
Entreprise familiale : la SAS pour une personnalisation en fonction de chaque situation
Une entreprise familiale sera souvent amenée à être transmise sur plusieurs générations conduisant progressivement à un actionnariat familial éclaté. Il est donc primordial de disposer de règles de gouvernance adaptées afin d’anticiper ces changements et les différentes situations possibles. Dans ce contexte, le recours à une holding familiale sous forme de société par actions simplifiée (SAS) sera plus adapté. Non seulement la responsabilité des associés est limitée mais cette forme « commerciale » s’impose lorsque la société transmise est animatrice de son groupe et qu’elle facture des honoraires à ses filiales. Comme en matière de société civile, la grande souplesse des règles entourant le fonctionnement de la SAS permettra de nombreux aménagements sur le plan des droits de vote et financiers ou encore s’agissant de la nomination du dirigeant.
Les actions de préférences : outils pour un équilibre des pouvoirs politiques et financiers
Dans une telle structure, l’enjeu consiste à définir les règles de majorités pour chaque décision selon son importance et trouver les points d’équilibre pour prendre les décisions stratégiques lors des décisions collectives : faut-il prévoir une majorité simple, aux deux tiers, ou aux trois quarts ? Chaque situation familiale n’appelle pas les mêmes réponses.
Dans certains cas, il peut même être envisagée de mettre en place des outils sophistiqués tels que la création d’actions à droits de vote « spéciaux ». Ces actions peuvent renfermer des droits de vote réservés à la prise de décisions bien déterminées (nomination des dirigeants, autorisation d’investissements, etc.), ou bénéficier plus généralement d’un droit de vote multiple conférant alors un poids supplémentaire à leurs détenteurs pour adopter des décisions collectives.. En parallèle d’une ventilation des droits de vote, il est aussi possible d’adapter la répartition des droits financiers entre les associés (qu’il s’agisse des dividendes, du boni de liquidation ou de la répartition de la plus-value). Ces droits différenciés peuvent être la contrepartie d’une réduction totale ou partielle des droits de vote ou d’une plus forte implication dans l’administration de la société. Il sera alors nécessaire de définir l’importance de l’avantage : est-ce une part majorée dans les bénéfices ? Est-ce un dividende versé prioritairement par rapport à d’autres actionnaires qui ne seraient alors pas servis en cas d’insuffisance des bénéfices ?
Les possibilités sont nombreuses, la sophistication et l’ingénierie financière et sociétaire peuvent s’adapter à des situations familiales complexes et spécifiques.
Nomination et contrôle du dirigeant
Le choix du dirigeant est clé mais il ne sera pas toujours aisé si l’actionnariat familial est dispersé. Il faut donc anticiper qui peut être le dirigeant, comment le nommer et le révoquer ainsi que l’étendue de ses pouvoirs et responsabilités. Le dirigeant est généralement nommé par les associés lors d’une assemblée générale ordinaire. Cependant, pour des situations plus complexes, la SAS permet que la nomination du dirigeant soit confiée à une assemblée spéciale ou un comité dédié, tel qu’un conseil d’administration ou un comité de sages. Des tiers de confiance à la famille pourraient alors siéger dans ce conseil dont le rôle serait de nommer objectivement le dirigeant pour l’entreprise et éventuellement de le révoquer pour justes motifs. Les pouvoirs du dirigeant devront être bien évidemment encadrés. Les statuts pourront par exemple prévoir que certaines décisions importantes nécessiteront l’autorisation préalable des actionnaires ou d’un comité dédié. L’action du président pourra être également contrôlée par un organe spécifique tel qu’un conseil de surveillance, le cas échéant composé de membres indépendants, qui fera office de « garde-fou ». Les règles de gouvernance pourront prévoir que les dirigeants doivent obtenir de sa part une autorisation préalable pour réaliser certains actes (emprunt au-delà d’un certain seuil, etc.). Cet organe spécifique aura aussi pour rôle de surveiller l’action du président notamment en contrôlant les comptes ou en l’interrogeant sur les décisions prises.
Règles propres au démembrement de propriété des parts
- Droit de vote : dans le cadre de la transmission de titres en nue-propriété avec réserve d’usufruit, il est nécessaire de définir qui de l’usufruitier ou du nu-propriétaire dispose du droit de vote lors des décisions collectives. Une assez grande liberté est permise et la répartition peut être personnalisée par type de décision ou en fonction de la qualité de l’usufruitier. En général, le parent donateur souhaite disposer du droit de vote pour la plupart des décisions comme celle de choisir un gérant. Le nu-propriétaire doit quant à lui a minima avoir le droit de participer aux décisions collectives (convocation et information), même s’il n’est pas nécessairement tenu de prendre part au vote. En cas d’incapacité de l’usufruitier, il peut être judicieux de prévoir que ses droits de vote seront déplacés vers le nu-propriétaire pour éviter les situations de blocage. Autre cas de figure, si l’usufruit est détenu par le conjoint d’un enfant (qui aurait été agrée), il convient de réfléchir à l’étendue de son droit de vote qu’il est possible de réduire à la seule décision de distribuer un dividende.
- Droits financiers : l’usufruitier a le droit aux dividendes prélevés sur le bénéfice de l’exercice ou sur le report à nouveau. En revanche, le sort du dividende prélevé sur les réserves n’est pas figé. Si la jurisprudence admet que les réserves sont appréhendées par l’usufruitier au titre d’un quasi-usufruit légal, il sera possible d’aménager des règles différentes dans les statuts en prévoyant par exemple la répartition entre l’usufruitier et le nu-propriétaire.
Des clauses de liquidités souvent plus complexes
Les statuts ou un acte extra-statutaire (pacte d’actionnaires) viendront encadrer les règles de cession des titres à des tiers de différentes manières. Dans sa version la plus stricte, il sera possible de prévoir dans les statuts d’une SAS une clause d’inaliénabilité des titres. Cette dernière doit être temporaire et limitée à 10 ans. Après cette période, une clause d’agrément adaptée pourra prendre le relai.
Cependant, il peut sembler opportun de mettre en place une « bourse interne » ou un droit de retrait au profit d’associés souhaitant céder tout ou partie de leurs titres et qui ne sont plus « en phase » avec le projet familial. Ainsi, un mécanisme fin de liquidité devra être anticipé incluant les problématiques de valorisation. Pour maintenir le caractère familial de la société, les dispositions pourront alors prévoir un droit de préemption au profit des autres actionnaires familiaux (droit prioritaire au rachat) en cas de sortie d’un membre. Le mécanisme de la préemption peut permettre de conserver une stricte égalité entre souches familiales, s’il est prévu que les actionnaires d’une branche familiale (identifiés par des actions d’une certaine catégorie) sont prioritaires pour préempter tous titres cédés par un actionnaire de leur branche.
Le pacte d’actionnaire et la charte familiale
Pour aller plus loin et en complément des statuts, les associés pourront décider de signer d’autres actes juridiques organisant les règles de gouvernance. Ces actes extra-statutaires, non obligatoires contrairement aux statuts, sont prévus dans un « pacte d’actionnaire » ou un « règlement intérieur ». Ils viendront le plus souvent compléter les règles statutaires relatives au fonctionnement de la société et aux relations entre associés : répartition des pouvoirs, droit d’information, désignation des organes de gestion, conventions de vote, clauses d’entrée ou de sortie du capital, clauses liées à la répartition des droits financiers, etc…
Ils sont par nature confidentiels puisqu’ils n’ont aucune obligation d’être publiés contrairement aux statuts. Ils seront donc souvent choisis pour y faire figurer des dispositions que l’on ne souhaite pas rendre publiques. La rédaction d’un pacte autorise une totale liberté de rédaction (sous réserve de ne pas être contraire à une règle d’ordre public ou à une stipulation impérative des statuts) et donc une personnalisation totale au regard de la situation du groupe familial.
Enfin, pour parachever le travail sur la gouvernance, certaines familles attachés aux symboles et aux valeurs souhaitent établir une charte de famille. Préambule aux dispositions “juridiques” évoquées précédemment, synthèse de la volonté et de la vision du fondateur, elle a toute sa place dans le dispositif de gouvernance. Elle permet notamment de rappeler l’histoire de l’entreprise familiale, les fondements de la famille, les valeurs auxquelles elle est attachée et de définir les objectifs communs dans un « engagement moral » reconnu par tous et assurant ainsi une cohésion et une vision partagée après la disparition des parents fondateurs.
Elle aura aussi pour but de donner un cadre pérenne aux rapports entre la vie familiale et la vie de la société. C’est par exemple dans cette charte que pourront être définis les règles d’entrée des membres de la famille dans la société ou même encore à un poste de direction. Tout népotisme est en principe écarté et l’idée sous-jacente est que le recrutement d’un membre familial devra se faire aux mêmes conditions qu’un tiers. Il est même parfois exigé une période de plusieurs années passées en dehors du groupe avant de pouvoir y faire son entrée ou bien encore, le passage par plusieurs étapes probatoires clés (à l’international, dans la direction d’une filiale, etc.) avant de pouvoir candidater à la direction générale. La gouvernance se construit et évolue toujours dans le temps en fonction des objectifs familiaux et du contexte global. Suffisamment expliqué en amont afin d’emporter l’adhésion familiale, le projet de gouvernance d’une société patrimoniale pourra alors pleinement jouer son rôle dans la durée pour préserver les équilibres familiaux et constituer le socle d’une croissance pérenne.
(1) Sauf exception dont notamment l'activité de location meublée