Asset Management Europe: Lettre Mensuelle – Avril 2020

Marc-Antoine Collard, Chef économiste, Directeur de la recherche, Asset Management, Europe

Évolution de la conjuncture

Selon toute vraisemblance, la récession mondiale ne fait plus de doute. En effet, de nombreux pays ont été contraints de mettre en place des mesures de plus en plus strictes afin de ralentir la propagation du COVID-19 et préserver ainsi les capacités hospitalières. Selon l'OCDE, chaque mois de confinement entraîne une perte moyenne de 2 points de pourcentage dans la croissance annuelle du PIB. L'impact final dépendra, certes de l'étendue et de la durée des fermetures, mais également de l'ampleur de la réduction de la demande de biens et services et des dégâts engendrés sur l'offre, notamment aux chaînes de valeur. Les investisseurs naviguent dans le flou quant aux impacts à attendre sur le tissu économique et la rentabilité des entreprises, ce qui ne les empêche pas de prévoir une reprise assez rapide au H2 2020.

Selon les dernières enquêtes de confiance des entreprises, le secteur des services subit une contraction plus accentuée que le secteur manufacturier, le confinement touchant tout particulièrement les branches telles que la restauration, l'hôtellerie et le tourisme. Or, l'impact global sera d'autant plus lourd que les services ont un poids prépondérant dans l'économie. Face à ce choc « auto-infligé », les gouvernements ont sorti l'artillerie lourde pour apporter une aide d'urgence à leur économie. Le Japon est, avec la Corée du Sud, l'un des pays ayant le mieux géré la crise sanitaire actuelle. Le pays doit néanmoins faire face à un environnement international déprimé, en plus d'être contraint de reporter les Jeux Olympiques qui devaient avoir lieu à Tokyo en juillet prochain. Par conséquent, le Gouvernement Abe a annoncé son intention de lancer un plan de relance budgétaire représentant près de 10% de son PIB, dont le tiers concernerait une injection directe aux ménages et aux entreprises.

Aux É-U, la gestion chaotique de la pandémie par l'Administration Trump pourrait se traduire, de l'avis même de la majorité des spécialistes, par la crise sanitaire la plus importante parmi les pays développés. Cela étant, le Congrès américain a été en mesure de s'entendre sur un stimulus de USD 2 000 mds, soit environ 10% du PIB. Dans les grandes lignes, il inclut des transferts de revenus pour certains contribuables ainsi qu'une bonification des allocations chômage pour une durée de quatre mois. Le marché du travail s'est fortement détérioré alors que plus de 6,6 millions de personnes se sont inscrites à l'assurance chômage lors de la semaine terminée le 28 mars. À titre de comparaison, les demandes d'indemnisation avaient atteint un pic d'un peu plus de 650 000 personnes au moment de la crise financière de 2009, démontrant que la vitesse et l'ampleur de la détérioration du marché du travail se révèle sans équivalent d'un point de vue historique.

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Si le stimulus américain est indéniablement de grande ampleur, la comparaison avec les différents plans en Europe doit cependant être mise en perspective. En effet, seule la moitié représente une injection directe dans l'économie américaine, l'autre partie étant liée, notamment, à des prêts pour les secteurs d'activité les plus touchés. En outre, le filet social aux É-U est plus ténu comparativement aux programmes sociaux européens, sans compter un système de santé au sein duquel près de 27 millions d'Américains sont sans assurance. Ainsi, ce plan a été conçu pour pallier un système de faible protection sociale.

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Assurément, la question de la soutenabilité de la dette va se poser, non seulement pour les É-U, mais également pour l'ensemble des pays dont les déficits publics vont rapidement s'aggraver en raison de la baisse des revenus et de la hausse des dépenses. En revanche, pour l'heure, les Banques centrales ont décidé de tout mettre en oeuvre pour permettre aux gouvernements d'intervenir sans contrainte et pour assurer le bon fonctionnement du système financier. En effet, la poursuite de la propagation du virus, de même que ses conséquences sur l'activité économique, ont provoqué une forte volatilité sur les marchés financiers. Les indices boursiers ont chuté et les écarts de crédit se sont élargis, notamment dans le segment du high yield, heurtant ainsi les sources de financement des entreprises et forçant les banquiers centraux, notamment la Fed, à mettre en place des programmes quasi illimités d'achats d'actifs. De son côté, le prix du pétrole s'est effondré, pénalisé à la fois par une chute de la demande et une hausse de l'offre orchestrée par l'Arabie Saoudite. Il s'agira d'une bouffée d'oxygène pour les ménages et les entreprises en améliorant leur pouvoir d'achat, mais la rapidité de la chute des prix se traduira par une augmentation brutale du nombre de faillites parmi les producteurs, ce qui ajoutera au stress financier actuel. Enfin, dans les pays émergents, les devises se sont fortement dépréciées contre le dollar dans un contexte de sorties massives de capitaux, et ce mouvement pèsera inévitablement sur la capacité du secteur privé à rembourser la dette libellée en USD.

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En somme, la récession est inévitable et fait partie du traitement de la crise sanitaire. Il n'empêche, elle engendrera de très lourdes conséquences sur l'offre et la demande, les facteurs amplifiant la dislocation comme les pertes d'emplois, la baisse des investissements des entreprises et la volatilité des marchés financiers risquant de contraindre la reprise. La réponse de politique économique a certes été très rapide, mais elle s'avère proportionnée au défi que représente une récession frappant une économie mondiale déjà faible, progressant à un rythme à peine supérieur à 2 % au moment du choc et conjuguée à un taux d'inflation inconfortablement bas. Les mesures de soutien budgétaire et monétaire visant à encourager le chômage partiel plutôt que les licenciements, à étaler les charges des entreprises (impôts, loyers) et à éviter un rationnement du crédit sont autant d'éléments qui permettront d'éviter qu'un choc, a priori temporaire, cause des dommages permanents. En revanche, tant que la population ne sera pas rassurée quant à l'évolution de la pandémie, il est illusoire d'espérer qu'elle produise, dépense ou voyage comme si de rien n'était.

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Retrouvez l'analyse complète dans la Lettre Mensuelle (483 KB)

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